Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
179
marane la passionnée

Je m’enfuis. J’étouffais. Ainsi ce misérable Chanteux avait poursuivi sa vilaine œuvre. Il avait voulu épouser ma mère en lui représentant qu’Évariste était un jeune homme perdu et moi une jeune fille éhontée bonne tout au plus à épouser un berger.

Il éloignait ainsi de moi tous les prétendants des environs en répandant des calomnies.

J’étais folle de douleur, et la mort de Chanteux me paraissait la plus grande preuve d’un Dieu juste.

Ah ! que le printemps de mon cœur avait brusquement disparu ! Je ne voyais plus que ténèbres autour de moi. Je frémissais de colère et d’humiliation. Ainsi, mes instincts tout innocents avaient été transformés, par cet affreux régisseur, en une abominable méchanceté.

Il avait été flagellé par mes dédains, et, rendu furieux parce que j’avais éventé ses projets et protégé ma petite maman, il se vengeait en abîmant ma jeune vie.

Je me trouvais sévèrement punie de n’avoir pas écouté les avis de ma mère. J’étais, je l’avoue, hostile à toute remontrance, mais ma conscience était blanche. J’aurais dû être moins attirée par le dehors, moins cassante avec le régisseur ; mais aurais-je pu vaincre une âme laide comme l’était celle de cet homme ?

Il avait son but précis : remplacer en tout le comte de Caye.

Combien je me félicitais d’avoir caché ma personnalité ! Jamais, sans ce stratagème, je n’aurais su les médisances qui se murmuraient, et je n’aurais pu essayer de me défendre.

Dieu, encore une fois, m’avait conduite.

Allais-je perdre Ned ? Rien que cette pensée épaississait des ténèbres autour de moi, et il me semblait que quelque chose s’écroulait dans mon cœur.

Je me trouvai en face de maman sans savoir seulement comment j’étais rentrée.

Je jetai ma cape, mon béret, mes lunettes sur le premier siège venu.

Je marchai de long en large dans la pièce jusqu’à ce que maman me demandât :