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marane la passionnée

Son attrait insidieux s’introduisait dans mon cœur. Il n’éveillait cependant en moi nulle curiosité perverse, mais il laissait mon âme pantelante, avec le grand désir du dévouement. J’étais là sans force, dominée par une autre puissance qui luttait ; l’intolérable souffrance de la jalousie.

Je ne voyais plus rien d’autre que sa femme près de lui, sa femme dans sa maison, sa femme lui parlant, le consolant, le soignant, avec toutes les prérogatives de l’épouse choisie.

Tout d’un coup, je me sentis téméraire. Que venais-je chercher là ? Désespoir et amertume ? Mon orgueilleuse assurance se dissolvait dans une agonie morale.

M. Descré me plaisait. Pourquoi ? Quand je l’avais aperçu, j’ignorais qu’il eût une femme. On l’avait supposé marié, mais cela pouvait être une erreur. Maintenant je savais qu’il l’était et mon amour devenait illicite.

Ma mère avait raison. Je sentis soudain en moi une lourde solitude, un abandon universel. Un regret s’insinuait dans mon âme, mais malheureusement ma jeunesse chantait son air de victoire, où filtrait la lumineuse espérance.

Je ne savais plus où je marchais. Mes gestes devenaient saccadés comme ceux des automates. Je cherchais à comprendre pourquoi j’aimais cet homme. Quel fluide m’avait envahie ? Sans doute, son expression mélancolique, sa tournure aisée, ses gestes doux avaient agi, parce que je devais m’éprendre d’un homme semblable à lui.

J’essayai de me maîtriser et je continuai mon chemin, c’est-à-dire que je marchai derrière le couple. Je modérai l’ardeur de mes chiens qui couraient devant moi.

Je regardai M. Descré. Il tournait souvent la tête du côté de sa femme, et je voyais son profil fin. Je croyais deviner l’ombre de sa moustache, mais je remarquais qu’il ne souriait pas.

À force de le contempler, j’oubliais presque sa compagne, mais elle eut un geste affectueux. Elle lui prit le bras. Il ralentit sa marche. Je devins rouge et tremblante. J’aurais voulu les désunir.

Où étaient mes belles résolutions de concorde ? Je m’étais cependant promis de ne rien vouloir contre leur union, même en pensée, mais sans doute la jalousie, que j’apprenais à connaître, m’insufflait-elle cette révolte.