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marane la passionnée

— Assurément.

— Tu lui raconteras que tu aimes un homme marié ?

— Quel mal vois-tu donc à cela ?

— Juste ciel !

— Je ne veux pas enlever ce Monsieur à sa femme ni le forcer à m’aimer. Je le regarderai de temps à autre, quand j’irai du côté de sa maison.

— Tu ne sortiras plus.

— Je sais sauter par les fenêtres.

— Tu es une fille sans conscience ! C’est ainsi que tu passais ton temps à contempler un homme que tu ne connais pas ! Tu voulais, sans doute, le forcer à te voir, l’amener à te faire des compliments. Horreur ! Un homme marié ! C’est abominable !

— Tu ne me plains même pas. Tu pourrais me dire que je n’ai pas de chance de découvrir mon idéal en un homme déjà pourvu d’une épouse. Tu ne comprends donc pas quel supplice les heures vont devenir pour moi ? Je n’aime cet inconnu que depuis deux heures et déjà les tortures de la jalousie m’envahissent.

Maman, qui marchait de long en large, s’arrêta net. Je la voyais violemment agitée, alors qu’il me semblait pourtant que je disais des choses fort naturelles.

Elle répéta, comme affolée :

— La jalousie !

Puis, se tournant vers moi, elle me dit avec un calme affecté :

— Je crois que tu es folle.

— Alors, toute l’humanité doit l’être, car il est certain que tout le monde aime dans sa vie.

Je notai que maman se mordait les lèvres. Je repris :

— N’as-tu pas aimé mon père ?

— Tu te mêles de choses qui ne sont pas de ton ressort. Une fille qui a du tact ne pose pas de questions indiscrètes.

— Oublie que je suis ta fille et pense que je suis une femme consciente qui désire s’éclairer. Je répète donc que chaque être ressent l’amour, et peut-on choisir celui ou celle qu’on aimera ? Je ne le sais. Peut-être certaines personnes peuvent-elles faire un choix judicieux ; mais moi, je ne l’ai pu, parce que, soudainement, j’ai reconnu celui qui me plaît.