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marane la passionnée

Maman m’examinait avec un visage épouvanté. Il me semblait qu’elle ne pouvait plus parler.

— Qu’est-ce que j’entends ! put-elle enfin proférer d’une voix rauque.

— N’ai-je pas raison ? insistai-je, forte de la réalité.

— Mais ce sont des principes de sauvage ! cria maman, scandalisée.

J’étais révoltée par ce que je jugeais l’étroitesse des idées de ma mère et j’articulai froidement :

— Ai-je l’air de venir d’une île de sauvages ?

— Quoi ! s’écria maman, en se dressant sur ses pieds, serait-ce de toi dont il s’agit ? As-tu rencontré un homme assez indigne qui ait osé te faire une déclaration ?

— Non, ma mère, je ne l’ai pas rencontré, cet homme ! Mais avant de poursuivre mon récit, je pourrais te rappeler que l’on peut subir certaines déclarations sans les avoir provoquées.

Maman devint très rouge et cria :

— Tu n’as pas de cœur, et, de plus, tu es une insolente !

— Mais si, maman ! dis-je négligemment ; seulement, j’aime me défendre… Je poursuis ma belle histoire. J’ai aperçu un monsieur qui m’a paru être mon idéal.

Les nerfs de ma mère se détendirent. Elle devint souriante et riposta, non sans ironie :

— Je constate que tu as oublié M. de Nadière.

— Oui ! répondis-je tranquillement. Je ne connais pas M. de Nadière, tandis que j’ai aperçu M. Descré, qui est tout à fait l’homme que je rêve.

— Seigneur !

— Si tu savais combien mes jours sont changés ! Je n’avais rien dans le cœur, j’allais comme une sotte dans la vie, et, maintenant, tout est beau, tout est éblouissant, malgré l’obscurité, et je sais pourquoi les hommes et les femmes sont créés.

— Mon Dieu ! Mon Dieu ! se lamentait maman.

— Ils sont faits pour s’aimer, poursuivis-je avec calme.

— Ôte-toi ces idées de la tête !

— Mais non, puisque mon instinct me suggère que c’est la vérité.

— Oserais-tu dire ces choses à ton confesseur ?