Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/131

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
marane la passionnée

Dans mon cœur, il me semblait qu’une fleur s’épanouissait.

Un moment auparavant, j’étais soucieuse, et, subitement, tout le soleil de la terre brillait dans mon âme.

Je ne me rendis pas compte tout de suite de ce qui m’arrivait. Je chantais, je courais, je riais avec mes chiens. J’avais secoué ce fardeau de misère que je traînais et j’étais redevenue une enfant.

Je compris tout à coup que j’avais voué, dès le premier regard, une affection profonde à l’habitant des Crares.

Je m’arrêtai dans ma course. Je me demandais avec terreur s’il était possible de donner une place aussi grande à un être humain.

Jeanne de Jilique et son mari s’enfuirent loin de ma pensée. Ils ne se présentaient plus à mon souvenir que comme un passé falot.

Mon cœur était plein d’une vie nouvelle, c’est-à-dire que je naissais seulement à la vie.

Puis, mon ardeur se glaça : ce monsieur était marié…

Pouvais-je vouer une ferveur semblable à un homme marié ?

Un homme marié appartenait à une seule femme, celle qu’il avait épousée, et je ne pouvais songer une minute à me placer entre eux.

Je fus désespérée. De nouveau, l’existence me parut affreuse et je cherchais ce que je devais faire. J’avais bien lu dans les romans que des hommes ne se gênaient pas pour aimer une autre femme que la leur, mais on les accusait de manquer de droiture.

Je savais que les gens mariés se juraient fidélité et j’aurais été désolée de faire rompre ce serment à un époux. Certainement, je n’aurais pas pu voir sa femme malheureuse par ma faute.

Je trouvai alors que je jouais vraiment de malheur.

J’arrivai à la maison dans un état d’âme émouvant.

J’avais résolu de ne rien raconter à maman de ce nouvel événement, mais l’heure du dîner était encore bien loin. J’étais si agitée que je compris qu’il me serait impossible de me taire.

Au bout d’un quart d’heure de silence, durant lequel je