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marane la passionnée

— J’aurais dû suivre ta proposition, et retenir des chambres pour séjourner à Paris.

— Moi, je n’y tiens pas. J’aurais volontiers fait connaissance de l’ami d’Évariste, mais, en dehors de cela, je n’échangerai pas ce paysage blanc pour une ville noire. Je deviendrais folle dans un hôtel. Le théâtre ne me tente pas. J’aimerais danser, mais ce n’est pas commode. Cependant nous pourrions entendre ici la messe de minuit.

Je regrettai ces paroles. J’étais sûre que maman me ferait les mêmes questions qu’à la Toussaint.

Que la vie était compliquée !

Il y avait quatre jours à passer avant le 25 décembre. Je fis un gros sacrifice, et je me donnai une maladie de circonstance.

J’eus le grand courage pour moi de rester couchée trois jours avant Noël et deux jours après, et de rester dolente, sans sortir, jusqu’au 6 janvier. Je me traînais dans le manoir avec une furieuse tentation de m’évader que je réprimais plutôt mal que bien.

Ma mère fit venir notre vieux docteur qui ne comprit pas grand’chose à cette maladie.

Il parla d’anémie, de troubles nerveux et il m’ordonna des médicaments que je ne pris pas.

Maman me considérait avec une certaine peur. Il me semblait qu’elle avait déjoué ma comédie, mais elle affecta de me croire souffrante.

Ma première sortie, que je ne fis pas longue, me transporta de bonheur. J’avais vécu dans ma chambre avec une volonté sauvage, comptant les heures, les égrenant une à une, comme des grains de chapelet.

J’avais pleuré, j’avais prié, mais j’avais tenu bon.

Ah ! quel tour de parc merveilleux j’effectuai ! Combien je fus heureuse de bondir par-dessus les souches, les pierres, les buissons ! Que de cris de joie nous eûmes, Rasco, Sidra et moi, en nous élançant dans les sentiers où les arbres dépouillés laissaient filtrer le soleil !

Quand je revins à la maison, j’étais animée comme je ne l’avais pas été depuis des mois.

Cependant, je repris mon visage terne, ou je crus le reprendre.