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marane la passionnée

— Je ne vois pas pourquoi, insistai-je, tu ne lui enverrais pas de condoléances. Je pourrais lui ajouter un mot qui lui ferait pressentir que j’aimerais avoir un entretien avec lui.

— Tu es inconséquente au-delà de tout ! s’écria maman. Tu ne peux faire d’avances à ce veuf !

— Des avances ? Tu appelles cette marque de sympathie des avances ? Je puis vouloir parler de Jeanne.

— Je te l’interdis !

— Bon ! je n’en parlerai donc pas, mais je pourrais lui demander, par exemple, comment il jugeait son caractère, s’il a été heureux. Je puis m’élever au-dessus de la banale médisance pour envisager un point de vue général.

— Tu perds absolument le sens de ce qu’il faut dire ou ne pas dire ! Tu estimes convenable pour une jeune fille de parler de ces choses à un veuf ?

— Veuf ou pas veuf, cela n’a nulle importance ! De plus, je puis fort bien vouloir m’instruire au sujet d’un caractère. Je voudrais savoir si j’ai commis une erreur ou si j’ai vu exactement. Puis, je trouve que consoler un homme qui a été si découragé par une déception est une bonne œuvre.

— Quelles extravagances tu peux arriver à débiter ! s’emporta maman, désespérée par la profession de foi que je révélais.

Il ne fallait pas trop me contredire, parce que je m’ancrais dans mes théories. Je ripostai donc avec un sérieux impressionnant :

— Je vais t’avouer une chose, maman.

— Ah ! s’écria ma mère en pâlissant. Elle se renversa sur le dossier de son fauteuil et me regarda avec des yeux terrifiés.

— Enfin ! murmura-t-elle, je serai délivrée de cette affreuse obsession. Que vais-je entendre ?

À mon tour, je la contemplais non sans effroi. J’ose dire que je ne pensais plus au soir tragique où la noyade de Chanteux m’était apparue comme une délivrance.

Maman était prise d’un tremblement. Sa pâleur était marmoréenne.

Elle m’ordonna dans un souffle :

— Parle !