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marane la passionnée

Son visage se détendit. Il articula :

— J’ai sept petits.

— Je les ai vus ; ils ont meilleure mine. Vous êtes plus à l’aise.

— Il était temps ! Avec l’autre, quels jours damnés je vivais ! Et pourquoi ? Parce que je ne voulais pas entrer dans la machination de ses vols. Ah ! c’était un vautour, et madame notre maîtresse ne sait pas le mal qu’il a fait ! Ce pauvre M. Évariste ! il le faisait boire, de façon qu’il soit la risée de tous. Il hâtait même son ivresse par des mélanges de mort. Ah ! je ne riais pas, moi ! Je pensais à mes gamins. Je lui ai dit un jour qu’il faisait là un métier honteux.

— Vous avez osé le lui dire ?

— J’étais indigné.

— Vous avez eu du courage, et je vous en remercie.

Lucas s’essuya le front. Je remarquai une cicatrice à son poignet.

— Qu’avez-vous eu là ?

— Çà ?

Il n’en dit pas davantage, mais il me regarda. Je détournai les yeux.

— Au revoir, Lucas.

— À vous revoir, Mamzelle !

Je repris le chemin du retour. Je ne sais pourquoi j’étais soudain plus gaie, plus animée.

Ma cravache battait l’air. Je chantonnais un vieux refrain. La nuit tombait. Une bande dorée diminuait au couchant. Le soleil était tombé là-bas, dans la mer, depuis un moment déjà. Le temps restait doux et calme. Dans le lointain, les flots mugissants semblaient des animaux repus qui s’apaisaient.

Je rentrai à la maison, alors que le crépuscule devenait obscur.

Je trouvai maman dans son petit salon. J’avais gardé mon aspect gai, sans le savoir, et je redevenais prolixe.

— Je sais à peu près qui seront nos voisins. Ils s’appellent Descré.

— Par qui es-tu renseignée ?

— Par un ouvrier à qui je l’ai demandé.