Page:Fiel - Marane la passionnée, 1938.pdf/114

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
114
marane la passionnée

bêtes ! Elles ne parlaient pas et je les appréciai pour leur fidélité et leur muet dévouement.

Je m’acharnai à détourner ma pensée de cet événement qui hantait encore chacun.

Je me promenai jusqu’aux Crares. Les volets étaient ouverts et les ouvriers y travaillaient.

Je m’étonnai que l’on vînt habiter dans ce lieu… Il était éloigné du village, comme nous l’étions et même davantage.

Quels étaient les originaux qui venaient là ? Je ne me disais pas que mon père avait agi pareillement et qu’il était venu se confiner dans ce manoir bâti au milieu d’une lande déserte.

Mais ce qui me paraissait parfait pour moi me semblait extravagant pour les autres. J’aimais la nature et je m’imaginais facilement que personne ne pouvait partager mes goûts.

Je me rapprochai de cette maison. Je ne me souciaispas des ouvriers qui allaien t et venaient et je les regardais faire.

Cependant, à quelques mètres, je m’arrêtais, pressentant que je n’apercevrais pas ceux qui résideraient là. Peut-être aussi ce logis ne les recevrait-il qu’au printemps suivant.

Je pris le chemin du retour, accablée je ne savais pourquoi. Ah ! que je me sentais vieillie ! La vie pesait sur mes épaules, comme une chape de plomb.

Quelques mois auparavant, je me trouvais pleine d’ardeur, joyeuse à mon lever, tout heureuse d’embellir ma toilette et de me coiffer d’une manière seyante.

Aujourd’hui, nulle coquetterie dans ma vêture, ni dans ma personne.

Je portais une robe grise, avec un manteau de pluie. Ce dernier était verdi, ayant reçu tous les embruns possibles. Mon chapeau se composait d’un béret de laine, sans souci de symétrie. Mes traits s’étaient durcis, et mon visage avait pâli. Je paraissais davantage que mes dix-sept ans, et, malheur plus grand, cela m’était indifférent.

Les semaines passèrent et la fête de la Toussaint arriva. Ma mère alla se confesser et je ne l’accompagnai pas.

Je compris la détresse de ses yeux, mais je me raidis. Je