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marane la passionnée

Cependant, ma pauvre mère ne pouvait se livrer à une joie franche. Elle craignait une catastrophe provoquée par moi. Elle aurait voulu s’expliquer, mais je ne m’y prêtais pas. Elle me contemplait parfois avec effroi. Je détournais la tête.

Plusieurs semaines passèrent et l’argent affluait. Nous aurions pu nous installer en ville, mais maman n’y tenait plus et semblait prendre goût à l’exploitation.

Nous étions attachées au manoir par une force.

Évariste était venu pour les obsèques de Chanteux. Il n’avait rien dit d’autre que ces mots :

— Quel bizarre accident !

Il était retourné à ses études, après avoir approuvé le choix du nouveau régisseur.

J’avais trouvé mon frère très bien. Il ne restait en lui nulle trace de ses accès d’intempérance.

Il ne demanda, par la suite, pas plus d’argent à notre mère, bien qu’il sût que le régisseur nous apportait des fonds importants.

Tout reprenait son cours normal.

Je sortais avec mes chiens. Je courais plus que jamais dans la campagne, j’allais à la découverte de coins que je n’avais jamais vus.

Pourtant, je n’avais plus la même ardeur à la vie. Mon imagination s’était tout à coup assombrie. Il semblait qu’un voile s’était posé brusquement sur la nature.

J’étais moins gaie et plus frondeuse.

Et bien que j’en eusse dit à maman, je regardais les gens en face et avec assurance. Je sentais le défi que décelaient mes prunelles.

Je n’en avais cure.

Au cours de mes randonnées de plus en plus longues, parce que la maison me déplaisait, je rencontrai un de nos fermiers.

Il eut un recul en m’apercevant.

J’allai à lui :

— Bonjour, Lucas !

— Bien le salut, Mamzelle !

L’homme me regarda. Puis ses yeux fuirent les miens.