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— Je suis heureux de vous rencontrer…

Elle sourit sans répondre ! L’autobus ne se fit pas attendre et ils y montèrent tous deux.

Colette s’étonnait bien un peu de revoir ce jeune homme précisément le jour où Marcelle ne l’accompagnait pas, mais elle ne pensa pas plus loin.

La conversation s’engagea et, comme il sied à des personnes ne se connaissant guère, le beau temps en fit de nouveau les frais.

— Je ne me lasse pas de ce soleil ! dit Colette, et dire qu’il y a des gens qui voudraient déjà de la pluie !

— Ce serait un peu tôt !

— Ah ! me griser d’air pur dans un jardin ! non pas dans un jardin public, mais dans un enclos où je serais seule avec ma famille… pour nous détendre bien à l’aise.

Il y eut un silence, puis son compagnon murmura :

— Si j’osais…

— Quoi donc, Monsieur ?

— Je vous offrirais bien de passer une journée avec vos parents dans une baraque que j’ai en banlieue…

Colette abasourdie le regarda :

— Vous dites cela sérieusement ?

— Je suis on ne peut plus sérieux… J’irai trouver votre père et je lui parlerai de ce projet. C’est une maison dont je viens d’hériter. Vous y passerez une bonne journée selon votre fantaisie…

— C’est extraordinaire !

— Vous le croyez !… C’est un petit service bien anodin.

— Nous sommes des inconnus pour vous !

— Quand j’aurai vu votre père, je connaîtrai déjà deux personnes de la famille.

— Voici ma station… un peu plus, j’oubliais de descendre. Au revoir, Monsieur !

Pendant les quelques mètres qui menaient à son immeuble, Colette croyait encore rêver. Soudain, elle rit en s’avisant que ce serviable jeune homme ne savait rien de son nom, ni de son adresse, pas plus que celle du bureau où son père était occupé.

Notre journée de campagne est douteuse, pensa-t-elle. Sa mère était toujours seule quand elle rentrait. Ses deux plus jeunes frères étaient à un cours jusqu’à dix-neuf heures et l’aîné dans un garage.

La jeune fille n’attendit pas une minute pour dire :

— Ah ! maman, quelle bizarre chose m’est arrivée !

— Quoi donc ?

Colette narra l’épisode que sa mère prit avec gaîté.