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Colette regarda son compagnon. Il ne vit pas les yeux hagards et implorants. Il ne se doutait pas que le mutisme de Colette provenait d’un excès de désespoir, d’une surprise mortelle. Non, il croyait simplement qu’elle était confondue d’être démasquée et il ne songeait pas à la plaindre. La violence de sa propre déception le rendait cruel, sans qu’il le sût.

Il la quitta après un salut brusque. Elle inclina la tête, et rentra plus morte que vive.

Sa famille était déjà réunie et on lui reprocha son retard inhabituel. Elle allégua un mal de tête insupportable, en disant qu’elle ne pourrait pas déjeuner.

Sa mère s’inquiéta :

— Tu souffres à ce point ? Tu ne veux rien prendre ?

— Non, merci, maman.

Elle se dirigea vers sa chambre et s’étendit sur son lit oû elle resta sans un geste. Elle paraissait si souffrante que sa mère sortit sur la pointe des pieds.

Elle avait hâte de voir son monde déjeuner et repartir pour s’occuper plus étroitement de sa fille.

Deux heures sonnaient quand elle revint près d’elle.

Le visage rouge, Colette paraissait somnoler. Sa mère lui prit le poignet et s’écria :

— Tu as de la fièvre !… tu ne peux aller à l’atelier…

— Non, je ne pourrai pas… téléphone, s’il te plaît…

— Je puis te laisser ?

— Oui… oui…

Le bureau de poste était proche et Mme Tiguel fit diligence.

Quand elle fut de nouveau dans la chambre de sa fille, elle trouva celle-ci sanglotante.

— Ma pauvre chérie ! qu’est-ce qui se passe ?

En phrases hachées, Colette raconta la scène subie, en ajoutant qu’elle n’avait pu articuler un mot pour sa défense. Elle pensait d’ailleurs que c’eût été inutile… J. Balliat paraissait tellement persuadé de sa traîtise, qu’il eût fallu un miracle à ce moment-là, pour qu’il crût la vérité. Dans une explosion de désespoir, Colette acheva son pénible récit, en apprenant à sa mère qu’il était décidé à se fiancer à Marcelle, rien que par vengeance.

— Avec Marcelle ! cria Mme Tiguel.

Colette ne répondit plus et parut s’assoupir.

Mme Tiguel s’était jetée sur un siège le corps tremblant. Elle pensa, qu’elle ne devait pas rester inerte, mais aller trouver Marcelle à l’atelier pour la tancer d’importance.

Colette, dans sa fièvre montante, percevait que le mal venait de