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La bonne mère écoutait son fils et une mélancolie l’assombrissait à mesure qu’il parlait.

— Et toi, maman, reprit-il, t’es-tu un peu distraite avec Mlle Dinare ? Tu n’as pas l’air bien gaie… Qu’est-ce que tu as ? Tu es peut-être fâchée que je me sois avancé sans que tu connaisses Colette ? J’ai été un peu vite à ton gré… Je te demande pardon, maman, mais parfois les paroles dépassent la volonté… je me suis trop pressé…

— Non… mon enfant, je sais que je puis me fier à ton goût, seulement, je suis surprise par la nouvelle que tu m’apprends…

— Comment ?

— Cette gentille Colette que je m’habituais à aimer à travers tes paroles, je l’attendais avec joie. Tu m’as expliqué de quelle manière vous vous étiez connus, et comment aussi tu avais pu avoir des renseignements sur elle et sa famille… Prudent, tu l’as guettée sans qu’elle le sût. Tu étais heureux, et tout s’annonçait très bien. Mais aujourd’hui, son amie, cette aimable Marcelle est venue, et, comme je lui demandais des nouvelles de Mlle Tiguel, elle m’a raconté que Colette était presque fiancée…

— Presque fiancée ! cria Jacques.

— Oui, avec un agriculteur faisant de bonnes affaires… Lasse de Paris, elle est enchantée de le quitter et de jouer à la fermière…

— Je deviens fou !

— Mon pauvre enfant, il y a là un mystère. Cette Marcelle connaît son amie et sait quels sont ses projets. Peut-être ne t’a-t-elle rien révélé parce qu’elle veut réfléchir aux avantages de ces deux partis… Les jeunes filles sont souvent plus pratiques qu’on ne le croit.

— Non… non ! interrompit Jacques, elle ne m’a rien fait supposer de tout cela ! Elle paraissait émue, mais heureuse… Notre accord était parfait… et ses beaux yeux me regardaient avec loyauté…

— Mon petit Jacques, je ne puis que te répéter ce qui m’a été dit. On ne peut inventer de semblables choses.

Jacques ne répondit pas. Il s’était jeté sur un siège, et son visage défait, indiquait combien ce coup lui broyait le cœur.

Sa mère remarquait son désarroi…

— Mon enfant, je t’en supplie, ne te torture pas ! Tu aimes une jeune fille qui ne le mérite pas, voilà tout. Cela arrive à beaucoup de braves cœurs…

— Je me retiens pour ne pas aller tout de suite lui jeter son hypocrisie à la face !

— Garde toi de tout geste trop vif… tu t’en repentirais mon fils…