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Il fut convenu que Bodrot s’occuperait du travail à effectuer.

Mathilde était toute joyeuse en sortant de cette maison. Elle songeait à la robe qu’elle devait exécuter, à la façon qu’elle lui donnerait de préférence.

Comme elle s’en retournait à pied, elle traversa le Luxembourg. Elle avait peu le loisir de s’y promener, mais ne manquait pas une occasion de s’y retrouver, aimant le calme des jardins. Bien que ce fût un jour d’automne, elle jouit de la poésie mélancolique des arbres dépouillés.

Elle longeait une allée quand devant elle surgit Gérard Manaut. Absorbé, il ne la voyait pas, bien que son désir fût de lui parler. Il avait à la main une sacoche d’ouvrier. Elle l’interpella :

— Alors, Monsieur Manaut, vous vous promenez ?

Réveillé d’un songe indéfini, Gérard tressaillit, mais il ne fut pas long à reconnaître Mathilde. Une lueur joyeuse éclaira ses traits. Il dit, répondant à la satisfaction qu’il éprouvait de pouvoir lui parler en toute franchise :

— Je suis bien content de vous rencontrer.

Mathilde fronça les sourcils. Est-ce que ce héros la désenchanterait ? Serait-il parjure à Denise et serait-il tombé au point de vouloir l’argent du père Bodrot ? L’attitude de la jeune fille devint sévère. Elle attendit, se promettant de cingler de son mépris un homme qui ne faisait point honneur à sa parole.

— Mademoiselle, ce que j’ai à vous dire est fort délicat à exprimer et je crains de ne pas me faire bien comprendre. Je voudrais que vous me promettiez le secret sur ce que je vais vous confier…

— C’est promis, répliqua simplement Mathilde.

— D’abord, je m’excuse de vous parler ainsi sur la voie publique, mais je ne pouvais guère me rendre chez vous pour m’expliquer… Je viens au fait : Mademoiselle, je n’ai pas toujours été ouvrier serrurier. Il fut un temps où j’avais plus de moyens, mais, par suite de circonstances fâcheuses, je me suis vu obligé de gagner tout de suite. Au moment où j’étais plus riche, je me suis fiancé, et si je ne suis pas encore marié, c’est que je crains que mes gains ne soient pas suffisants pour l’entretien d’un ménage…

Mathilde était satisfaite et un sourire errait sur ses lèvres.

— Et si je bénéficie de ces confidences, répondit-elle sans timidité, c’est que votre patron vous montre de l’estime et que vous avez eu peur qu’il ne songe à vous comme gendre…

Gérard regarda la jeune fille avec étonnement. Il riposta, en homme du monde :

— Je ne me serais pas permis, Mademoiselle, de croire une chose semblable… Vous me faites trop d’honneur…