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gique qui n’avait jamais connu que le travail et la médiocrité, Mathilde jugeait que Gérard pouvait redemander la jeune fille en mariage.

Au moins, il aurait une femme affectueuse pour s’occuper du ménage des deux hommes.

Elle ne se figurait pas que c’eût été pour Gérard une honte cruelle que de voir sa femme réduite au rôle de servante, alors qu’il lui avait fait entrevoir la richesse.

La bourgoisie a ses charges que le peuple ignore. Gérard aurait cru manquer gravement à son devoir en proposant à la future Mme Manaut un destin aussi précaire.

Mais Mathilde, dans sa simplicité, ne connaissait pas ces choses. Ayant toujours vécu dans un milieu populaire, elle croyait en toute naïveté que les cœurs qui s’étaient donnés ne possédaient qu’un point d’honneur : se rejoindre pour l’union dans n’importe quel état social. Travailler en s’aimant : elle s’imaginait que c’était là le seul objectif.

Si elle admettait que Gérard eût rendu sa liberté à Denise dans la première surprise de la catastrophe qui fondait sur lui, elle croyait que la timidité, uniquement, l’empêchait de reprendre les pourparlers interrompus. De toute son âme, elle eût voulu écrire à Denise, lui expliquer le chagrin de Gérard, l’inciter à s’imposer au foyer des deux isolés.

Mathilde rêvait à ces choses tout en vaquant, les jours suivants, aux occupations qu’elle assumait : ménage, couture et raccommodage.

Une de ses amies vint la trouver un après-midi pour lui annoncer une cliente.

— C’est une Mme Alixin qui habite place du Panthéon. Il faudra que tu ailles la voir. Je t’ai chaudement recommandée, Elle veut une robe, peut-être même deux…

— Merci, ma belle. Justement, j’ai un peu de temps. Mais ne me fais pas trop de publicité : je fais de la couture à mes heures perdues seulement…

— C’est entendu.

Après avoir bavardé quelque peu, la jeune voisine et amie se sauva.

Le lendemain, Mathilde prit le chemin du Panthéon pour entrer en contact avec sa future cliente. Elle se vit en face d’une dame fort aimable et elles s’entendirent très bien au sujet de la commande projetée.

Comme Mathilde s’en allait, Mme Alixin lui demanda si elle ne pourrait pas lui indiquer un serrurier, et en riant la jeune fille répliqua :

— Vous ne pourriez mieux vous adresser, Madame : mon père, est établi patron serrurier.