Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/36

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Gérard pencha le front un moment, puis répondit :

— Personne n’a songé à analyser ses sentiments ; nous avons obéi aux faits… Je ne pouvais que rendre sa parole à Mlle Laslay et elle ne pouvait guère aller contre ma décision. Je ne crois pas, d’ailleurs, que son père le lui eût permis…

— Ce pauvre Laslay ! Ah ! comme il est cruel de causer de la peine… Cette petite famille eût été si heureuse !…, et en un moment, toute leur paix a été troublée…

— Pauvre père ! tu ne penses même pas à toi… Dans la vie des Laslay, rien n’est changé. Ils ont eu une grosse déception et Denise doit être meurtrie dans son rêve. Mais ils reprendront leur existence paisible. Nous, au contraire, nous avons d’autres habitudes à prendre… C’est pour nous une réadaptation complète, en plus de l’avenir à établir…

— La Providence nous conduit, murmura le banquier. Je t’ai envoyé en Amérique, obéissant à je ne sais quelle impulsion. Tu y trouves une fiancée et, subitement, tout est changé dans nos projets pour nous mener à quoi ? Dieu seul le sait !

— Ce n’est que pour un bien, crois-le, père. Nous nous relèverons de ces surprises… Je vais chercher une situation…

— Mon pauvre petit !…

— Je vais chercher une situation, reprit Gérard, et il est probable que je la trouverai vite. Nous avons des amis, tout au moins des relations qui ne nous laisseront pas dans l’embarras.

— Les amis, mon enfant, deviennent plus rares quand on a besoin d’eux… On fuit celui qui sollicite…

Gérard se tut pendant quelques secondes, puis il demanda, comme s’il voulait chasser une idée obsédante :

— Tu n’es pas seul ici, père… ; tu as conservé un des domestiques ?

— Non, mon fils. Une femme du voisinage m’aide le matin et le soir. À midi, elle m’apporte des aliments qu’elle a cuits chez elle.

Gérard regarda son père avec un air abasourdi.

En étaient-ils tous deux arrivés à ce degré de misère ? Loger dans trois pièces sordides et n’avoir plus aucun service ?…

Cependant, le jeune homme essaya de maîtriser sa surprise. Il dit vivement :

— Je pense que tout cela changera bientôt, mon père, et que tu auras de nouveau un valet de chambre qui, je ne le cache pas, serait bien nécessaire pour l’instant. Je suis même surpris qu’Alexis, qui te paraissait si dévoué, ne soit pas demeuré près de toi.

— Il aurait fallu le nourrir, murmura non sans une sorte de honte le pauvre M. Manaut. Tu ne sais pas quels revenus représente un tel luxe !…