Page:Fiel - Le fils du banquier, 1931.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

velle pareille sans dommage, surtout quand on est comme lui un si honnête homme ?…

Cette appréciation releva le courage du jeune homme. Il serra la main de celui qui lui parlait.

— Merci, mon cher Monsieur Boreul… Je croyais que mon père serait ici, à la tête de son personnel, en train d’aider à la liquidation de ses affaires… Je ne l’ai jamais vu malade et je suis extrêmement peiné par cette nouvelle…

— Cet éblouissement n’a rien été du tout… L’ennui est cette jambe cassée qui le tient immobile… Il a commencé par tout diriger… Vous savez que c’est un typhon qui a inondé les mines qui constituaient le fonds principal de la banque ?

— Je ne sais rien encore, avoua Gérard. Il comprenait maintenant que son père n’avait pu lui expliquer les circonstances plus amplement par suite de cette chute malencontreuse.

Boreul poursuivit :

— Une panique a saisi les clients. Ils se sont rués en foule à nos guichets, exigeant le remboursement de leurs dépôts. Le patron a payé avec tout ce qu’il possédait, mais cela n’a pas suffi. Devant la peur, les gens sont intraitables. Ils n’ont rien écouté, se sont plaints, et tout de suite la justice s’est emparée de l’affaire. Cela va vite comme la foudre, et M.  Manaut ne méritait pas cela. C’est un homme intègre et il l’a prouvé. Il a été le jouet du malheur. C’est ce qui lui a donné ce malaise. Avec un peu de temps, tout aurait tourné autrement. Il aurait trouvé sûrement une idée…

Gérard écoutait comme en un rêve toutes les explications que lui fournissait Boreul. Un découragement l’envahissait. Il se sentait humilié, malgré tout le chagrin qu’il ressentait de la maladie de son père.

À mesure que le vieil employé parlait, le ton devenait plus familier inconsciemment. Gérard sentait qu’il n’était plus le fila du « patron », celui qui a le prestige de la fortune et de la puissance.

Naguère, quand il entrait à la banque, on le regardait avec respect et une certaine envie dominait. Les sourires convergeaient vers lui avec le souci de lui plaire. Aujourd’hui, on l’examinait avec une sorte de commisération où il entrait, malgré tout, une sorte de satisfaction de le voir réduit à ses propres forces.

Évidemment, ce n’était pas brutal comme un soufflet, malt c’était en nuances, et Gérard les saisissait parfaitement. Il serra hâtivement la main de Boreul et s’enfuit. La porte retomba sur lui et de nouveau il eut la sensation qu’un nouvel abîme se creusait entre le passé et le présent