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fait de lui un homme quelconque qui ne compterait plus dans la vie qu’à partir de sa valeur propre.

M.  Laslay s’effraya de son silence.

— Qu’avez-vous à m’apprendre, mon enfant ?

Gérard tressaillit. Il devait parler, non à un Américain qui ne se soucierait pas de cette fortune perdue et qui penserait tout de suite à la rebâtir, mais à un Français qui, de par son atavisme de race économe et rangée, songerait à tout le mal, vain maintenant, avec lequel cette richesse avait été édifiée. En plus, il y avait le père qui croyait sa fille établie pour la vie dans une existence facile.

Il parla :

— Monsieur…, j’ai reçu une lettre pénible de mon cher père…

— Il ne veut plus de Denise pour belle-fille ?

Ce fut le premier cri du père, cri qu’il regretta tout de suite, parce qu’il pouvait paraître égoïste.

— Au contraire, Monsieur… Mon père eût été enchanté d’avoir Mlle  Denise comme fille, mais, aujourd’hui, la situation est changée…

Gérard s’arrêta. M.  Laslay le regarda et il comprit. Le jeune homme continua d’une voix plus ferme :

— Mon père m’annonce sa ruine totale…

Le professeur ne répondit pas. Il continuait de cheminer près de Gérard. Il paraissait paisible, comme si cette nouvelle ne le touchait pas, alors que son cœur chavirait sous l’émotion.

Le jeune homme reprit :

— Mon devoir est de ne pas entraîner votre enfant dans la vie que j’aurai demain…

— Pauvre… pauvre petite Denise…

Gérard ne fut pas choqué par cette plainte du père. Il était naturel que le professeur songeât à la déception qui allait atteindre la fiancée. Il avait, lui aussi, une tâche terrible à remplir.

Le cœur de Gérard se serra en évoquant la scène qui aurait lieu. Pour lui, l’accoutumance prenait déjà son esprit. Cette nouvelle, vieille de quelques heures seulement, lui produisait maintenant l’effet d’une réalité dans laquelle il évoluait avec moins d’amertume.

Il avait surtout une hâte : retourner à Paris, près de son père, pour aviser à ce qu’ils allaient entreprendre tous deux.

M.  Laslay reprit :

— Je suis tout à fait de votre avis, mon cher enfant. Les conditions ne sont plus les mêmes et il faut attendre.

— Oui, attendre, répéta Gérard… Il se peut que mon père ait une idée pour remettre ses affaires au point. Je n’ai aucun détail, mais je vous tiendrai au courant… Je compte partir demain et