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CHAPITRE XI


Si Gérard avait pu reconquérir son sang-froid en apparence, son esprit et son cœur luttaient contre la douleur et l’émotion.

Il lui avait fallu toute sa volonté pour ne pas délaisser l’atelier du patron Bodrot, pour ne pas aller perdre sa misère morale dans le cinglement de ce vent de décembre.

Il regrettait son indépendance de jadis, cette belle indépendance qui lui permettait d’agir à son gré, de voyager à sa fantaisie, de semer ses soucis légers dans un changement de cadre.

La discipline voulait que maintenant il restât à son poste, sans pouvoir distraire sa pensée de l’idée torturante qui lui martelait le cerveau.

Ainsi Denise était à Paris. Il lui semblait que, subitement, la ville prenait un autre aspect, et que l’angoisse qu’il éprouvait en pensant à la jeune fille devenait tangible.

Il ne savait à quel parti se résoudre. Quand il la croyait en Amérique, la vie lui paraissait plus simple. Elle était là-bas, au milieu des siens, et il pouvait travailler, caché, sans souci de sa tenue d’ouvrier.

Aucun orgueil ne le faisait souffrir.

Soudain, la face des choses changeait. Il pouvait rencontrer Denise au tournant d’une rue et elle le verrait sans élégance et sans prestige.

Que lui dire ? Aller vers elle sans fausse honte et s’écrier : « Me voici tel que le malheur m’a voulu… J’ai les mains noires, le visage maculé, ma casquette est tachée par mes doigts et mon vêtement de travail semble recouvrir le cœur d’un homme quelconque, mais combien autre est ce cœur !… L’expérience s’y mêle avec la pitié, l’amertume s’y mélange avec plus de bonté, la douleur et le regret y luttent sans cesse… »

Mais Denise aurait peut-être une larme de commisération et passerait. Pourrait-elle unir sa vie à celle de l’homme qui lui paraîtrait descendu socialement parlant, mais grandi par l’épreuve ?

Et si sa tendresse, peut-être, la poussait à cet acte, ses parents ne lui montreraient-ils pas avec sagesse la folie de son geste ?

Et lui, pourrait-il accepter un tel dévouement, ce dévouement qui semblait si simple à Mathilde, mais insurmontable à lui ?… Pouvait-il concevoir la destinée de Denise dans la médiocrité