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yeux de flamme s’immobilisèrent, ses traits se figèrent dans une expression sibylline et elle prononça lentement :

— On se refait une nature. On naît avec certaines dispositions parfois bien inutiles et on est obligé de les arracher pour en planter d’autres qui vous serviront mieux.

— Comme tu es exagérée, Bertranne !… gronda Mme Fodeur.

Christiane riait de tout son cœur. Le franc parler moderne de son amie l’amusait toujours. Mme Fodeur pinçait les lèvres parce qu’elle détestait ces manières chez une jeune fille. Le genre de Christiane lui plaisait beaucoup plus.

Bertranne poursuivit en phrases tour à tour sceptiques et badines ;

— Je crois être née pour aimer… Tu sais, Christiane, de ce bel amour qui vous emporte, qui ne voit rien d’autre que l’objet aimé, qui brise tout et qui se moque de tout ce qui n’est pas lui.

— Comme tu dérailles, ma pauvre petite fille.

— Ma chère maman, ne crains rien, je me cramponne à mes bouquins et je me plonge, non dans l’idéal, mais dans tout ce que l’humanité a de laid, fait de vilain, engendre de mauvais. Toi, Christiane, tu as ta poésie non ternie et tu peux aimer avec blancheur, si je puis dire… Ah ! la vie difficile joue un tour aux femmes en ce moment. On se virilise par la lutte mais on