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l’ombre s’efface

— Ah ! là là, et leur Amélie était un drôle de per­sonnage.

— Dans quel sens ?

— Oh ! je n’en sais rien. Nous ne sommes pas assez mêlés à la vie des maîtres pour tout comprendre. On ne voit pas toujours leurs manières de faire. Un petit enfant qui meurt, cela passe inaperçu, quand on n’est pas de la famille. On s’est beaucoup plus occupé de cette Amélie, morte sur le coup, que de la petite. Tout le monde en a été révolutionné.Mme de Sesse était dans sa clinique et elle y est restée assez longtemps après ces événements. Il y avait de quoi la faire mourir. Quand on l’a revue, elle était triste, comme elle l’est encore aujourd’hui.

— Est-ce que c’est un bon ménage ?

— Ça, c’est difficile à dire. Il faudrait voir les gens dans l’intimité. Il y a des ménages qui prennent des figures de pierre devant le monde et qui se mignotent quand ils sont seuls, alors que d’autres agissent d’une façon opposée.

Je ris un peu des aperçus de Clarisse, et pourtant ils ne manquaient pas de vérité.

Cependant, je n’apprenais rien. Cette affaire que je jugeais ténébreuse n’offrait rien que de naturel.

Une femme qui meurt accidentellement, un enfant qui ne vit pas, ce sont des faits qui surviennent sans que le monde en soit bouleversé.

Je devais imposer le calme aux agitations qui me troublaient à ce sujet. J’essayai donc de ne plus penser à ce qui concernait Mme de Sesse. J’allai la revoir, en évitant toute allusion au malheur survenu à ce ménage.

Elle fut tout à fait aimable. Il me sembla même qu’elle prenait un grand plaisir à causer avec moi. Elle me questionnait, mais ses questions ne comportaient pas d’indiscrétion. Elle y apportait tant de sensibilité que j’y sentais une affection véritable. Elle se passionnait pour mes danses et ne se lassait pas de ce thème.

— Ainsi, vous avez passé votre enfance dans un travail aussi ardu, sans jamais vous reprendre, sans avoir la douceur de la famille ?

— J’avais les Labatte qui étaient gentils. Quant au labeur ininterrompu, nous n’y pensions pas. Mes deux