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l’ombre s’efface

contre des monstres plus ou moins récalcitrants.

Le jour m’enleva toutes ces sottises et je me surpris à être gaie.

Je déjeunai en face de mon mari. Je portais une robe d’intérieur rose qui m’allait bien et les yeux de Jacques me semblèrent admiratifs. J’en fus heureuse parce que j’aurais voulu lui plaire toujours davantage.

— Quels sont vos projets pour aujourd’hui, ma chérie ?

— Rien de spécial. Je n’ai nulle course pour ce matin, et cet après-midi, je compte m’installer ici avec un ouvrage et un livre, l’un me distrayant de l’autre.

— C’est sagement combiné. Cependant ne soyez pas trop sédentaire. Je ne puis vous proposer une promenade aujourd’hui, parce que j’ai des recherches à effectuer à la Nationale.

— Hélas ! je ferai des efforts pour me passer de vous ! dis-je gaîment.

— Et moi, je ferai de même, non sans tristesse.

Mon mari me laissa pour s’entretenir avec ses chères paperasses et ses poussiéreux papyrus, tandis que je procédais à mes légers travaux quotidiens.

Nous étions dans le plein automne, mais il y avait quelques rayons de soleil. Un minuscule jardinet faisait suite à l’hôtel, Les fleurs n’y vivaient pas long­temps, mais quelques arbustes de bonne volonté égayaient par leur feuillage.

J’enlevai quelques feuilles mortes. Je me sentais toute réconfortée par l’atmosphère et surtout par la tendresse que me témoignait mon mari.

L’heure de midi arriva, et le vieil Antoine vint me prévenir que Monsieur était rentré. J’allai vite le rejoindre et nous nous rencontrâmes alors qu’il venait au devant de moi.

— Les vieux papiers ne sentaient pas trop le moisi ? demandai-je.

— C’est une odeur que je ne distingue plus, parce que je vis avec elle.

— Oh ! oh ! c’est dangereux pour moi cette parole-là ! En arriverez-vous à ne plus me voir parce que je vis dans votre sillage ?

Je devenais coquette. Mes yeux étaient câlins et ma voix se faisait douce.