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l’ombre s’efface

— Quoi ? s’écria Mme de Sesse, indignée.

— Vous voyez qu’Hervé cultive plus que jamais le paradoxe ! C’est votre avis aussi, n’est-ce pas, madame ?

Forcée de répondre, je m’exécutai timidement :

— Je le crois.

Hervé me regarda d’un œil scrutateur. Il me donnait de l’épouvante. J’avais compris que toutes ses phrases me visaient. Son cynisme était effrayant. Je fus un moment sans me rendre compte de ce qui se passait sous mon front. En moi se déroulaient tous les genres de vengeance qu’il pourrait employer pour abîmer notre entente, pour faire de nos jours une suite triste de soupçons. Puis je me secouai. Non, il ne pouvait y avoir au monde un être assez odieux pour nous désunir. Ma conscience claire ne pouvait admettre que la méchanceté pût atteindre un tel raffinement.

Je me repentis d’avoir parlé de ma vie à Mme de Sesse. Elle pouvait, sans le vouloir, nuire à notre amour. Si Hervé connaissait ma lamentable enfance et l’incident Garribois, il pourrait broder à son aise sur ce thème et faire de moi une rouée qui avait su capter le cœur d’un homme loyal.

La terreur passait en moi, et il me semblait que j’allais me trouver mal. Je regrettais mon célibat, mes jours d’orgueil où je dansais, enivrée par mon talent et tremblante de mon triomphe, sous le regard de mes admirateurs. C’était là le vrai bonheur, car il ne s’agissait plus de famille, de considérations de naissance ; le talent seul comptait.

Je me sentais tout abandonnée, alors que jamais je n’avais été autant entourée d’âmes charmantes qui ne songeaient qu’à me plaire.

Dans mon besoin de protection, j’étais désespérée de ne pouvoir raconter mes craintes à mon mari. Je devais garder pour moi ces horribles agitations. J’étais certaine que Jacques m’aurait prise pour une sotte si je lui avais parlé de mon épouvante. Pourtant, je sentais en moi une frayeur que je ne pouvais réprimer. Je craignais que mes hôtes ne s’aperçussent de mon désarroi et j’accumulais les efforts pour être présente à la conversation qui se déroulait devant moi. J’y parvins et j’écoutai avec plus de présence