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l’ombre s’efface

pote. Le malheur qui l’avait frappé en avait fait un enfant gâté et il devait abuser parfois de l’indulgence de son entourage. On voulait lui faire oublier sa peine, et on lui passait ses caprices, ses humeurs, ses fan­taisies. C’est ainsi que je me figurais sa vie, mais je ne contestais pas sa beauté, autre facteur qui aidait à la pitié.

— Quoi qu’il en soit, reprit Jacques, je suis content d’être rentré dans ce foyer. Les souvenirs m’y sont doux malgré tout. J’en étais tout attendri.

— J’avais très peur pour vous d’une émotion trop douloureuse.

— Je la craignais moi-même, mais je sens que les douleurs, même les plus cruelles, s’estompent et s’émoussent. J’ai naturellement beaucoup songé à Janine, ce soir. Je la voyais évoluer dans ce milieu, mais j’ai été presque consolé par le changement remarqué en son fiancé. Aurait-elle été heureuse ?

— C’est le secret du destin, murmurai-je.

— Sans doute, mais ce qui m’a puissamment aidé aussi, c’est votre amour, ma chère aimée, qui se place au premier plan de ma vie et qui me rend l’existence moins amère.

Mon mari me serra sur son cœur et je lui murmurai :

— Que les heures me sont belles, quand je pense à la réalité ! Souvent, je me figure que je rêve et que je vais me réveiller chez la femme Nébol.

Pourquoi cette idée me venait-elle ce soir-là ? Jamais je ne prononçais le nom de cette mégère. Était-ce par un sursaut d’humilité, parce que je venais de me voir au milieu d’un monde dont j’aurais voulu faire partie ?

Dieu m’envoyait-Il cette humiliation pour abattre mes regrets orgueilleux ?

Mon mari m’embrassa en riant :

— Ces jours-là sont finis. Il ne faut plus y arrêter votre pensée.