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l’ombre s’efface

— Et surtout par votre affreuse menace de vous venger de mon mari.

— Je sais, je sais : vous l’aimez ! Ne me le répétez pas : j’en deviendrais jaloux !

— Ce serait un comble ! m’écriai-je avec gaîté.

— Ne riez pas, je vous en supplie. L’amour est un sentiment grave.

Je regardai Hervé. Il me disait ces mots avec un accent qui me fit presque frissonner.

Je ne voulais pas le craindre, et il me forçait à m’occuper de lui plus que je ne le désirais. Tant d’ombres s’agitaient sur ce visage que l’on s’égarait quelque peu dans ces ténèbres. On qualifie de ténébreux l’homme brun aux yeux sombres, au sourire rare, mais le blond que j’avais près de moi était plus complexe. Ses cheveux clairs, son sourire candide recelaient plus d’une énigme.

Je me taisais. M. de Gritte se rapprocha de nous :

— Il me semble que vous avez bavardé gaîment tous les deux ?

— Votre fils a un esprit original, dis-je ; ses aperçus excitent l’attention.

— Je le voudrais parfois plus simple.

— Je suis comme je suis ! s’écria Hervé, presque avec colère.

— Allons, ne t’emballe pas ! reprit son père. Ne donne pas une mauvaise opinion de toi à notre jeune amie.

Je devinais qu’Hervé était furieux de ce que notre tête-à-tête était interrompu.

Pour adoucir la situation, je dis avec sérénité :

— J’ai déjà côtoyé bien des caractères et celui de votre fils ne manque pas d’intérêt.

La vérité était que personne ne m’avait autant intriguée. Chez les Labatte, la simplicité régnait. À part Marc Garribois, dont j’avais pu mesurer la dupli­cité, jamais je n’avais vu un spécimen ressemblant à Hervé.

Peut-être trop occupée par mon travail, n’avais-je pas porté mon attention sur les gens ? Cela était pos­sible. Quand une idée vous possède, tout est négligé, hormis elle. Je n’avais pas le temps d’étudier les uns et les autres, mais maintenant mon esprit s’ouvrait à la psychologie.