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l’ombre s’efface

J’allai vers la porte et je l’ouvris brusquement. Je courus jusqu’au cabinet de M. de Gritte, dont la portière se releva sous la main de mon mari. Je courus vers lui :

— Jacques, allons-nous-en !

— Que se passe-t-il ?

Hervé, qui me suivait, répondit pour moi :

— Madame s’est troublée devant les manifestations du désespoir dont tu es justiciable. Je ne nie pas qu’il s’extériorise parfois avec excès.

Mon mari restait sans voix, car il ne s’attendait pas à ce que sa première rencontre avec son ami fût ainsi.

M. de Gritte se montra et dit avec autorité :

— Allons, Hervé, apaise ta rancune ridicule. Jacques est plus malheureux que toi. Serrez-vous la main, et que votre douleur commune vous rapproche au lieu de vous désunir.

Je frissonnai parce que mon cher mari s’avança vers Hervé. Ce dernier ne se déroba pas, mais il jeta un regard vers moi, un regard qui me sembla celui de Méphisto et dans lequel je lus : « Je serai aimable parce que je tiens ma vengeance. »

Les deux amis se serrèrent la main. Jacques rayon­nait, ravi de voir se dissiper le nuage qui était entre eux. Sur le visage d’Hervé un sourire se fixait, mais personne, excepté moi, ne pouvait y lire l’ironie qui le soulignait.

M. de Gritte ne cachait pas sa joie. Il était arrivé à ce qu’il souhaitait depuis longtemps. Il nous invita à dîner pour le lendemain, ce qui enchanta Jacques.

Nous prîmes enfin congé de lui.

Sitôt hors de leur demeure, Jacques me dit :

— Oh ! que je suis content, ma chérie ! Voir Hervé plus conciliant, malgré son reproche toujours mala­droit, m’a rendu à moi-même. N’est-ce pas que M. de Gritte est charmant ? Que dis-tu d’Hervé ? Sa beauté surprend un peu.

Je me remettais petit à petit. Je répondis gaîment :

— C’est incontestable : il est beau.

— Vous avez bavardé ensemble ?

— Oui, mais il a joué une scène de désespoir qui m’a interloquée.