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l’ombre s’efface

« Il faut que je te raconte, murmura-t-il, il faut que tu saches… »

— Je sais, répliquai-je.

— Je m’en doute. Clarisse a dû te dire, mais ce qu’elle n’a peut-être pas deviné à ce point, c’est la haine que me porte Hervé. Je comprends son déses­poir, mais il n’approfondit pas le mien… Dieu me voit et Il sait combien j’ai souffert de la mort de ma chère petite sœur. Hervé, au lieu de me plaindre, m’a jeté des menaces à la face, si véhémentes et si injustes qu’il m’a fallu cesser de fréquenter cette maison. J’ai eu double douleur.

La voix de mon malheureux Jacques faiblit dans un sanglot et je ne pus que l’entourer de mes bras et le couvrir de baisers.

— Oh ! Jacques, mon grand amour, calmez-vous ! Je suis là pour vous aimer.

— Mon Dieu ! si je ne vous avais pas !

Un moment après, il continua :

— Nous étions de bons amis d’enfance et M. de Gritte m’aimait comme un père. C’est sous sa direc­tion que j’ai commencé mes études, et tout s’est trouvé rompu soudain par l’affreux événement. Alors que je tentais d’adoucir le désespoir d’Hervé, il m’abreuvait d’injures. Aujourd’hui, son père me rappelle. Je sup­pose donc qu’Hervé a désarmé et qu’il me fera bon accueil. Vous m’accompagnerez, Christine, car c’est un devoir pour moi de lui présenter ma femme.

Il m’embrassa en me serrant contre lui, comme si j’étais un bouclier qui le préservait de tout malheur.

Nous décidâmes d’aller dès le lendemain, chez M. de Gritte.

J’avoue que cette visite ne me plaisait guère. Cet Hervé avait trop fait souffrir mon mari, et je le détes­tais d’avance. Je pensais aussi aux paroles de Cla­risse : « Il est jaloux et rancunier. »

Ces deux défauts me causaient une certaine frayeur et je m’imaginais ce jeune homme. Je le voyais brun avec un front bas, des cheveux désordonnés, des yeux noirs fulgurants et une bouche aux lèvres minces et pincées.

Mon sommeil fut troublé par la perspective de cette rencontre. J’eus même un cauchemar qui me mettait