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l’ombre s’efface

n’osait sans doute pas se faire connaître. J’ai vécu des jours horribles. Je ne pouvais plus voir mon mari ; lui ne supportait que péniblement mon visage douloureux. Nous racontâmes que notre chère petite Christine était morte. On nous plaignit, sans se douter à quel point notre désespoir recouvrait de mystérieuses perplexités.

Mme de Sesse se tut. Les larmes la suffoquaient. De mon côté, cette mère sans enfant provoquait en moi une étrange pitié en me disant que j’étais sans mère. La coïncidence de nos deux existences me semblait extraordinaire.

J’étais fort agitée. Je ne pouvais plus rester assise. J’allais d’un bout à l’autre du salon, en pensant à ce récit stupéfiant. Je ne voulais pas croire que cette petite fille fût morte. Cela n’entrait pas dans ma tête. Une idée folle surgissait dans mon cerveau, mais je n’osais pas l’exprimer. Il me venait pourtant qu’elle aurait donné un certain espoir à cette mère douloureuse. Ce qui me retenait, c’était d’être accusée de vouloir à tout prix une famille et de profiter de la circonstance qui m’était offerte. Je n’avais pas de preuves pour convaincre. Il se pouvait que ce fût une chimère de me croire la fille des Sesse, et cependant tout me confirmait que j’étais devant ma mère.

À cette idée, une onde de joie me parcourait de la nuque aux talons. Je m’extasiais sur les voies de la Providence. Quel enchaînement !

Mme de Sesse me réveilla de ce rêve :

— Je suis désolée, ma chère enfant, de vous voir dans cet état nerveux. Vous êtes trop sensible et je déplore mon expansion. Je croyais cet événement bien enclos dans mon cœur, et votre sympathie, que je devine si sincère, m’a engagée à parler. Ne soyez pas affligée pour moi. Reprenez votre calme et retrou­vez vite votre bonheur en pardonnant à votre mari. Son péché est véniel, et si je vous ai confié mon se­cret, c’est pour vous démontrer qu’il y a des fautes plus graves.

Je me hâtai de dire adieu à Mme de Sesse, parce que je ne pouvais plus dissimuler mon agitation où fusait trop de joie. Un espoir démesuré m’emplissait l’âme. Je ne pensais même plus au différend que j’avais avec Jacques. Je marchais avec une légèreté d’oiseau. Tout