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l’ombre s’efface

de pauvresse ou autre, mais je crois que rien dans ma conduite n’a pu vous orienter vers une naissance basse. Vous savez que j’ai horreur du vulgaire. Je ne parle pas de l’incident Garribois ; il vaut celui de votre ami de Gritte.

— Pardon !… répétait Jacques en cachant son visage en pleurs.

J’avais étalé ma rancœur et, sans plus faire attention à mon mari, je regagnai ma chambre. J’étais brisée. Toute la tristesse de ma situation m’environnait de terreur. Mon cœur regrettait tout ce que j’avais dit, mais ma raison consolait ma fierté. Il m’était impossible de me laisser accuser sans me défendre. Je devais un nom et une place dans la société à Jacques Rodilat, mais je ne pouvais pas me laisser insulter.

Pourquoi ma mère n’eût-elle pas été une femme honnête et digne de respect ? Il était raisonnable de me laisser bénéficier du doute. Chacun voyait ma manière d’être et elle ne décelait pas une origine fâcheuse. Il ne fallait pas surtout que l’obscurité de ma naissance servît de prétexte à des manques de tact et à des écarts d’imagination.

Ma sécurité dépendait de ma fermeté à ce sujet.

Enfoncée dans mon fauteuil, je pleurais mon coup d’état. Ma chambre me paraissait la plus belle du monde, et j’avais signifié à Jacques que je le quitterais !

Clarisse entra à pas feutrés.

— Madame devrait s’arrêter de pleurer.

Naturellement mes larmes redoublèrent.

Elle poursuivit :

— Monsieur se désole de son côté. Je voudrais bien que ces déluges soient terminés. Il va bientôt être l’heure du dîner.

— Je ne pourrai rien manger.

— C’est pas des manières pour vivre. Si Madame ne se met pas à table, Monsieur ne s’y assoira pas non plus, et le dîner est bon, j’ose le dire…

— J’ai trop de chagrin.

— Cela ne s’arrange donc pas, cette affaire-là ?

— J’ai prévenu Monsieur que j’allais partir.

— Ah ! ben, ça ne m’étonne plus que Monsieur jette des ruisseaux de larmes. Allons, faut vous redresser.