Page:Fiel - L'ombre s'efface, 1955.pdf/100

Cette page a été validée par deux contributeurs.
98
l’ombre s’efface

sa pauvre petite sœur eût été malheureuse avec lui. Il se demandait peut-être aussi quelle était la date de cette maladie et si elle était provoquée par l’émotion qu’il avait eue. À mon sens, c’était un regret vain, puisque la pauvre petite n’existait plus. Quant au remords que ces circonstances pouvaient susciter, il était inutile, car rien ne prouvait que l’ébranlement subi eût causé ce trouble de santé.

Ne sachant si mes suppositions étaient exactes, je n’abordai pas ce sujet. Voulant cependant rompre le mutisme de mon mari, je hasardai :

— Nous allons chez M. de Gritte ?

— Tout à l’heure. Nous rentrerons d’abord à la maison.

Bien que cela me semblât naturel, je m’étonnai cependant que Jacques reculât le moment d’informer son vieil ami de ce qui se passait. Pourtant, je ne me permis nulle observation.

Aussitôt que nous arrivâmes, j’allai dans ma chambre pour changer de manteau. Le mien me paraissait trop léger pour le crépuscule.

Je fus assez surprise de voir que Jacques me suivait.

Il entra et referma la porte.

— Asseyez-vous, me dit-il de son air sévère.

Je tremblai. Je n’étais pas accoutumée à ce ton de maître, et je perçus que mon bonheur allait subir un assaut.

Devant moi, Jacques allait et venait, et je le regardais en frissonnant. Ce n’était plus un mari amoureux que j’avais devant moi, mais un juge.

Il paria :

— J’ai feint de croire à la fable que vous m’avez racontée, mais vous pensez bien que je n’en suis pas dupe. Cet hôtel, loué soi-disant pour ce jeune ménage sans que je le sache, est une histoire ridicule que vous avez arrangée, Hervé et vous, pour me tromper.

— Je vous ai répété ce qu’il m’a dit ! criai-je, affreusement blessée.

— J’ai remarqué qu’Hervé ne vous était pas indifférent. J’ai constaté aussi combien il vous entourait d’admiration. Vous ne tentiez rien pour l’éloigner ; vos sourires, vos attitudes me prouvaient clairement qu’il y avait une entente entre vous. De là à ce que