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res imitant ces fruits verts… Baigneurs masculins contemplant ce déploiement de jambes avec une moue, comme s’ils eussent été hésitants sur le choix d’une paire de tibias.

Je sentis de nombreux regards s’attacher sur moi et je m’efforçai de ne pas perdre contenance. Sans doute se demandait-on quelle était la raison de mon isolement. On ne concevait pas que je pusse être seule, sans mentor, dans une ville d’eaux. À vrai dire, j’étais un peu embarrassée de mon personnage. Il me semblait que je me montrais en chemise.

Je m’encourageai en me disant que quelques jours suffiraient pour me donner plus de désinvolture, et plus d’aisance. Je m’appliquai à rendre ma démarche nonchalante et je regagnai mon toit.

C’était l’heure du déjeuner. Le maître d’hôtel me désigna une table à un seul couvert. J’y pris place. Je remarquai que, si je n’étais pas la seule à déjeuner solitairement, j’étais tout au moins la plus jeune.

Soucieuse de l’opinion d’autrui, je pensai que j’allais me faire mal juger. Mais comme il n’y avait pas de remède, que je ne connaissais âme qui vive, le mieux était de supporter mon sort avec héroïsme.

À la fin du repas, le garçon m’apporta une carte où je lus : « Marcel Tramaillac »… Je levai les sourcils en signe d’interrogation. Je ne connaissais personne de ce nom sonore. Puis je poursuivis ma lecture, et je constatai avec effarement que cet inconnu sollicitait la faveur d’un bref entretien. « Seulement quelques pas dans le jardin », écrivait-il… Voudrais-je lui accorder cette grâce ?

Après tout, pourquoi aurais-je refusé ? Ce Tramaillac était peut-être intéressant. Peut-être avait-il reçu le coup de foudre ? Je pouvais toujours bavar-

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