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ÉPREUVES MATERNELLES

petite Rose, vous aurez ma part, parce que justement je n’aime pas les plats sucrés.

— Comme vous me parlez gentiment ! Vrai, moi qui ai été battue dans ma famille et qui n’ai jamais entendu un mot de bon, je vous assure que je suis presque émue…

L’appréciation de cette humble fille toucha profondément Denise. Un intérêt la rattacha soudain à la vie. Son isolement lui parut moins grand, en envisageant qu’elle pourrait montrer quelque affection à cette jeune fille et lui donner l’illusion que le monde pouvait être parfois sans égoïsme.

La pauvre Denise eut un sourire amer. Elle voulait faire croire à la bonté humaine, elle qui était la victime d’un caractère sans générosité.

Mais, de toute sa force, elle chassa ces pensées. Eile ne voulait pas se montrer aigrie. L’avenir était là et il pouvait devenir meilleur.

Il fallait qu’elle se montrât bonne simplement, afin le suivre le précepte divin.

Rose, tout intimidée, la contemplait maintenant en perdant cet air effronté qui lui était coutumier. Elle avait pour elle des prévenances et des sourires et lui parlait avec toute la déférence qu’elle avait à sa disposition.

— Ah ! si j’avais eu une mère comme vous ! soupirait-elle, mais maman était toujours dans la misère parce papa buvait. L’argent manquait souvent et on mangeait peu.

— Vous étiez nombreux ?

— Cinq enfants.

— Votre pauvre mère a eu du mal !

— Cela aurait marché si on avait eu la paie entière le samedi, mais elle arrivait tellement écornée que cela ne suffisait guère… On passait de tristes dimanches… allez !

— Et la messe ?… et les patronages ?

— La messe ! avec des souliers percés et des robes en loques ? non, vous n’auriez pas voulu tout de même ? puis, maman ne dérageait pas… et elle ne pensait guère à nous habiller… Elle se querellait avec papa qui repartait au cabaret pour boire les quelques sous qu’il avait gardés. Nous, les pauvres gosses, on galopait dans la rue pour échapper au logis