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ÉPREUVES MATERNELLES

Il pressentait un drame et devinait qu’il allait se dénouer. Cependant, il ne songeait pas à établir un rapprochement avec ce qu’il avait lu tout haut.

Comme Mme Rougeard essayait encore de persuader Marie de rester allongée, la jeune femme se mit résolument debout et prononça d’une voix contenue :

— Je ne puis retarder mon départ, Paul Domanet est mon mari.

Un cataclysme, rasant devant eux une ville entière, n’aurait pas stupéfait davantage les deux époux, que d’entendre leur domestique affirmer cette nouvelle invraisemblable.

Ainsi, celle qui les servait, était la femme du richissime industriel, dont on vantait les réceptions, mais dont les salons étaient fermés depuis la maladie de Mme Domanet.

Par suite de quelles circonstances, de quelles épreuves et de quelle erreur tragique, avait-elle échoué chez eux comme une pauvresse et une abandonnée ?

Ils n’opposaient aucun doute à sa parole. Mais avant que la lumière fût faite complètement, ils comprenaient maintenant toute la délicatesse qui caractérisait leur servante. Ils n’étaient pas sans avoir entendu parler de son charme, non plus que de sa correction impeccable.

Ils la contemplaient avec une pitié pleine de respect, devinant des malheurs immérités dans son destin.

Elle devina ce que leur silence désirait, et en hâte, à mots rapides, hâchés par une émotion croissante, elle raconta sa vie, la dureté de son mari, son caractère intransigeant, ses enfants arrachés à ses bras, sa détresse et sa bonne étoile qui l’avait conduite chez eux. Elle s’accusa aussi, disant qu’elle n’aurait pas dû aller contre la volonté de Paul Domanet, mais son affection fraternelle n’avait pu se résoudre à une telle défection. Elle dit aussi qu’elle n’aurait pas dû quitter son foyer, mais elle ne pouvait plus supporter cette existence atroce.

— Vous en avez été sévèrement punie, prononça le magistrat gravement.

— J’aurais agi comme vous ! s’écria Mme Rougeard, indignée.