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ÉPREUVES MATERNELLES

ques secondes, de se faire connaître, d’étaler sa pauvre existence, afin de se dégager de l’équivoque où elle s’enferrait, mais la terreur des jours qui l’attendaient peut-être, la retint au bord de cette tentation.

Elle sentait qu’elle devait avoir encore un peu de patience. Il n’était pas nécessaire qu’elle compromît le présent pour satisfaire une curiosité qui contenterait son cœur, mais qui ne serait d’aucune utilité.

Debout devant le dressoir, elle s’y cramponnait, essayant de chasser l’émotion qui l’absorbait.

— Marie, dit doucement Mme Rougeard, vous n’êtes pas souffrante ?

Denise tourna vers sa maîtresse un visage sans expression.

— Non, Madame.

L’excellente personne insista :

— Réellement ?

D’une voix blanche, la servante répéta :

— Non, Madame.

Elle comprit qu’elle restait dans la pièce plus longtemps que son service ne le comportait et elle reprit le chemin de l’office. Elle prévoyait qu’on allait bientôt quitter la table et qu’elle ne pourrait plus rien entendre.

Alors, elle décida qu’avant le départ de Mme Pamadol, elle ferait une question. Elle arrangerait une phrase. Par exemple : chez mes anciens maîtres, j’ai entendu souvent parler de cette famille Domanet, les enfants sont-ils bien portants et se passent-ils aisément de leur pauvre maman ?

Il lui semblait que rien ne serait plus naturel que ces paroles, et cette résolution l’apaisa.

Les plus indifférents pouvaient s’intéresser à cette famille que tout Paris connaissait pour son luxe et ses réceptions.

Mais malgré soi, son isolement dans la cuisine l’irritait. Elle s’y agitait sans motif, l’esprit attiré vers ce qui se disait dans cette salle à manger dont l’accès lui était interdit.

Son rôle lui paraissait navrant.

Tout-à-coup, dans une impulsion irraisonnée, elle retourna dans la salle à manger où le repas s’achevait. Elle s’arrêta près de la porte, devant les yeux interrogateurs de Mme Rougeard. Rattrapant son