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Le Proviseur ; bon enfant et sûr de son fait.. — Il doit y avoir "proviseur".

Arnold, relisant. — Proviseur ?… Tiens, oui… il y a "proviseur". (Bien naïvement.) Ca ne veut plus rien dire.

Le Proviseur, sérieusement gouailleur. — Si.

Arnold, achevant de lire. -… du lycée Louis XIV.

Le Proviseur. — C’est moi.

Arnold, descendant en scène, suivi de Robin. — Ah ! c’est monsieur ? Eh bien ! voilà : je viens pour une livraison.

Il lui remet la lettre.

Le Proviseur. — Une livraison ?

Arnold. — C’est ce jeune homme que mes patrons…

Le Proviseur, souriant avec indulgence. — Ah ! c’est ça, la livraison ?

Arnold. -… m’ont chargé de conduire à votre lycée où il doit faire ses classes.

Le Proviseur, qui a jeté un coup d’œil sur le contenu de la lettre. — Ah ! c’est le nouveau que nous attendons, le jeune Lebott. Parfaitement !… Avancez, mon petit ! (Arnold le fait avancer.) Puisque c’est moi qui ai la satisfaction de vous accueillir au seuil de cette grande maison, je suis heureux de vous y tendre une main bienveillante et paternelle.

Arnold. — Pardon, Monsieur, mais…

Le Proviseur. — Ne m’interrompez pas, je vous prie. (Tout en parlant il retire à Robin sa casquette, la lui remet et continue son discours tout en lui caressant paternellement la tête.) Je devine tout ce qu’il doit y avoir d’angoisse dans votre jeune cœur, devant ce premier pas dans l’inconnu, mais que ceci ne vous trouble pas. (Robin, agacé de se sentir tripoter les cheveux, imprime un léger mouvement de tête pour se dégager, en même temps qu’il élève le coude pour repousser le bras du proviseur qui, d’ailleurs, n’y ajoute aucune attention. Ce jeu de scène doit être très discret.) Vous quittez une famille qui a dorloté votre enfance pour entrer dans une autre qui formera votre adolescence de façon à vous armer pour la vie. Je ne doute pas (Robin tourne vers Arnold des yeux ahuris) que je trouverai en vous toutes les qualités de zèle et de discipline qui feront du jeune lycéen que vous allez être, un bon élève et un bon républicain.

Nouveau regard de Robin à Arnold.

Arnold. — Un mot, Monsieur le Proviseur.

Le Proviseur. — Chut !… (Continuant.) A une époque où le vrai républicanisme, où le patriotisme lui-même est sujet à tant d’interprétations différentes, (Coup d’œil de Robin à Arnold en même temps qu’il esquisse un discret frottement du revers de la main gauche sur la joue qu’il gonfle avec sa langue de façon à signifier "Quel raseur".) n’ayez toujours qu’une seule ligne de conduite qui sera successivement celle que vous dicteront les différents gouvernements au pouvoir. (Pendant ce qui précède, la figure de Robin s’est assombrie et peu à peu il grimace comme quelqu’un qui se retient de pleurer.) Je vois les larmes perler à vos yeux. Cette émotion est grande et saine. Ne pleurez pas, enfant, mais méditez et faites votre profit.

Robin, éclatant en larmes. — I have forgotten my football.

Le Proviseur, interloqué. — Quoi ?

Arnold, narquoisement conciliant. — Ce n’est pas la peine de lui dire tout ça, Monsieur le Proviseur, il ne sait pas un mot de français.

Le Proviseur, interloqué. — Ah !… il ?…