Scène VIII
Rasanville, Paginet
Paginet, entrant de gauche et apercevant Rasanville. — Ah ! monsieur.
Rasanville, étonné. — Hein ! comment ?
Paginet. — Il paraît, monsieur, que vous. désirez me parler ?
Rasanville. — À vous ? oui… non… c’est-à-dire… j’avais demandé à parler au nouveau chevalier de la Légion d’Honneur.
Paginet, — Eh ! bien, c’est moi, monsieur.
Rasanville. — Vous ?
Paginet. — Parfaitement !… (Montrant sa décoration.) Tenez ? voyez plutôt.
Rasanville. — C’est vrai. (À part.) Comment… c’est madame Paginet ? (Haut.) Je vous demande pardon, mais je m’attendais si peu à vous voir dans cette tenue.
Paginet. — Oui, je vous prie de m’excuser, c’est mon costume d’appartement.
Rasanville. — Ah ! c’est ça !… c’est ça !… on est plus à l’aise, seulement, vous comprenez,… comme je pensais vous trouver en robe.
Paginet. — Oh ! en dehors de mes cours, je n’y suis jamais.
Rasanville, à part. — Oh ! mais très intéressant à noter, çà !. (Paginet.) Vous permettez ?… (Ecrivant.) "Madame Paginet a l’habitude de s’habiller en homme !…"
Paginet. — Pardon, monsieur, mais à qui ai-je l’honneur ?…
Rasanville. — Ah ! C’est juste !… (Se présentant.) Rasanville, reporter au journal "La grande vie" et désireux de vous interviewer.
Paginet, à part. — Un interviewer !… (Haut.) Ah ! monsieur, mais asseyez-vous donc. Non !… dans ce fauteuil, vous serez mieux.
Rasanville. — Merci !… Voulez-vous me permettre de prendre quelques notes. Vous savez, nos lecteurs sont assez friands des portraits des personnalités en vue.
Paginet, à part. — Des personnalités en vue !… je ne lui ai pas fait dire. (Haut.) Mais c’est très naturel !… tenez, comme ça… me voyez-vous bien ?…
Rasanville. — Attendez… voulez-vous me permettre ?…
Il s’approche de Paginet et le regarde de très près comme font les myopes.
Paginet. — Quoi donc ?…
Rasanville. — Je vous demande pardon… je suis un peu myope… merci… (À part, écrivant :) "Madame Paginet est une grande personne, à la figure mâle et énergique. Les cheveux grisonnants sont coupés courts et rejetés en arrière ; la bouche et le regard, seuls, trahissent le sexe véritable de madame Paginet, mais le reste, gestes, port et costume, a l’allure plutôt masculine."
Paginet, qui ne bouge pas. — Ça va-t-il ?
Rasanville. — Oh ! mais vous pouvez bouger.
Paginet. — Ah ! bon !
Rasanville. — Et vous êtes mariée ?
Paginet. — Parfaitement.
Rasanville. — Pas d’enfants ?