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Emilienne. — Mais non ! mais non ! Ça se fait au théâtre ! Mais dans la vie ! garde donc le beau rôle ! la véritable satisfaction, tu la trouveras dans la conscience de ta supériorité.

Olympe. — Me tromper, moi ! après quatre ans de mariage !

Emilienne. — Eh bien, oui ! qu’est-ce que tu veux ! tu n’es pas la première et tu ne seras pas la dernière.

Olympe. — Mais ça m’est égal, les autres !

Emilienne. — Ah ! oui, je sais bien ! Charité bien ordonnée… D’abord, qu’est-ce qui te dit qu’il te trompe ?

Olympe. — Parce que j’en ai la preuve.

Emilienne. — La preuve ! la preuve ! Ça ne prouve souvent rien les preuves.

Olympe. — Ah ! ben, qu’est-ce qui te faut ! Tiens ! viens un peu ! Sors du lit ! passe ta matinée !

Emilienne. — Que je… ?

Olympe, tout en fouillant dans son réticule. — Oui, oui ! Allez, lève-toi et viens !

Emilienne, sortant du lit et passant sa matinée. — Voilà ! je me lève ! qu’est-ce qu’il y a ?

Olympe, brandissant un buvard à main devant la glace au-dessus de la commode. — Tiens, lis !

Emilienne. — Qu’est-ce que c’est que ça ?

Olympe. — Le buvard de mon mari ! Ah ! les criminels ne pensent pas à tout ! les lettres partent, mais les buvards restent. Et celui-là a tout bu ! Lis ! lis !

Emilienne. — Oh ! que c’est imprudent d’écrire des lettres compromettantes avec une plume d’oie. (Lisant :) "Mon bon vieux". Qui c’est, le bon vieux ?

Olympe. — Est-ce que je sais ? Quelque ami de mon mari puisqu’il lui écrit. Va toujours !

Emilienne. — "N’oublie pas le souper de ce soir ; chacun amène sa chacune."

Olympe, avec rage. — Hein ?

Emilienne. — Ah ! oui ! "Tu amènes ta choute, Trévelin sa Blanche."… Quoi !

Olympe. — Ah ! c’est vrai, au fait, ton mari en est.

Emilienne. — Oh ! c’est trop fort ! et tu ne me dis pas tout de suite…

Olympe. — Oh ! qu’est ce que tu veux ! J’étais tellement préoccupée par ma situation, à moi.

Emilienne. — Oh ! naturellement !… une maîtresse ! une maîtresse ! Oh ! mais je me vengerai.

Olympe. — Ah ! Ah ! tu vois, tu vois ! Quand tu me disais tout à l’heure.

Emilienne. — Ah ! oui. Mais moi, ce n’est pas la même chose ! Songe qu’il y a à peine huit mois que nous sommes mariés.

Olympe. — Et moi, quatre ans.

Emilienne. — Eh bien, oui, huit mois ou quatre ans il y a une différence ! et puis, moi c’était un mariage d’amour.

Olympe. — Moi aussi.

Emilienne. — Oui enfin, tu l’aimais ! Qu’est-ce que tu veux toi, toi, tu as épousé un homme qui avait neuf ans de moins que toi.

Olympe. — Pardon, sept.

Emilienne. — Eh bien, oui soit ! il a peut-être deux ans de plus que je ne croyais.