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(À ce moment, une sonnerie éloignée et différente de celle de la porte d’entrée retentit, arrêtant court leur altercation. Yvonne, brusquement impérative.) Chut ! tais-toi !

Lucien, saisi. — Qu’est-ce qu’il y a ?

Yvonne. — Le domestique qui vient de sonner à la porte d’à côté.

Lucien, redescendant. — Eh bien ! je m’en fous !!

Yvonne, sautant de joie. — C’est les voisins qui ont perdu leur mère ! C’est les voisins qui ont perdu leur mère !

Lucien. — C’est ça, tu te réjouis du malheur des autres.

Yvonne, gagnant joyeuse l’avant-scène droite et tout en s’asseyant d’un saut sur le lit. — Tiens ! Quand je pense que ça a failli être moi !

Lucien. — Oh ! oui, plus souvent ! (Remontant.) Ah ! nous sommes bien ! nous voilà bien !


Scène IV

Les Mêmes, ANNETTE

Annette, rentrant vêtue d’un large et long pardessus à Lucien. — Foilà ! c’est fait !

Lucien, bondissant vers elle et lui saisissant les poignets. — Ah !… les lettres ! qu’est-ce que vous avez fait des lettres ?

Annette, reculant dans l’espace qui est entre le fond et le lit. — Che les ai mises à la poste.

Lucien. — C’est ça ! voilà ! elle les a mises à la poste !

Annette. — Pen ! oui, puisque moussié…

Lucien. — Ah ! vous avez fait un joli coup ! Qu’est-ce vous aviez besoin de vous presser comme ça ?

Annette. — Comment, mais c’est moussié qui m’a dit… !

Lucien. — Eh ! C’est moi, c’est moi… ! parce que tout à l’heure la mère de madame était morte. (Il redescend.)

Yvonne, radieuse, à Annette qui est tout près d’elle de l’autre côté du lit. — Oui, et maintenant… elle ne l’est plus.

Annette, au-dessus du lit. — Lieber Gott !… ils sont fous !

Yvonne, bien chaud. — C’est pas maman ! c’est la mère des voisins ! Le domestique s’était trompé de palier !

Annette. — Non ! c’est frai ?

Lucien, furieux. — Mais oui !

Annette, sautant en l’air de joie. — Ah ! que che suis gondende !

Lucien, furieux. — C’est ça, elle est gondende ! elle est gondende !

Annette. — Mais oui !

Yvonne, indiquant du doigt Lucien qui est à l’avant-scène gauche. — Non, mais c’est que monsieur, lui, il regrette !

Lucien, haussant les épaules. — Allons, voyons !

Yvonne. — Il aurait été heureux d’enterrer maman !

Lucien, même jeu. — Ah ! là, « l’enterrer »… ! (Brusquement.) Ah ! n… de D… !

Yvonne. — Quoi !

Lucien. — Et ma lettre à Borniol !

Yvonne. — Quoi, « ta lettre à Borniol » ?

Lucien, vite et d’une voix navrée. — J’ai écrit à la maison Borniol de venir demain matin chez ta mère pour s’entendre pour le convoi !