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Joseph. — Ah ! oui ! (Tirant la chemise, longuement, de sa poche.) Voilà madame.

Yvonne, qui est redescendue entre eux, à Joseph. — Comment ! vous avez ma chemise de jour dans votre poche !

Joseph. — C’est monsieur qui s’en était servi… pour mettre du sirop sur la figure de madame.

Yvonne, lui enlevant la chemise des mains d’un geste brusque. — C’est insensé ! ma parole ! (Se retournant vers Lucien et le voyant immobile, attendant on ne sait quoi.) Eh ! bien ! dépêche-toi, voyons ! Qu’est-ce que tu attends pour t’habiller ?

Lucien. — Ah ? Il faut… ?

Yvonne, exaspérée. — Évidemment !… tu ne comptes pas aller là-bas en Louis XIV ?

Lucien. — Non !

Yvonne, à Joseph. — Se mettre en Louis XIV quand on perd sa belle-mère !

Joseph, bien inconsidérément. — C’est rigolo !

Yvonne. — Ah ! vous trouvez, vous ?

Joseph. — Oh ! pardon, non !

Lucien, à Annette qui sort en ce moment du cabinet de toilette. — Ah ! Annette !… donnez-moi mon costume de cheviotte noire, ma cravate noire et des gants noirs. (Annette fait mine d’aller vers la chambre de droite, mais s’arrête aussitôt à la voix d’Yvonne.)

Yvonne, faisant pirouetter son mari face à elle et au comble de l’exaspération. — Ah ! non ! non ! tu ne vas pas t’habiller comme ça ! Tu aurais l’air d’avoir commandé ton deuil d’avance ; ça ne se fait pas ! (Elle passe et dépose sa chemise de jour sur le pied du lit.)

Lucien. — Tu as raison ! (Allant à Annette qui est près de la porte de la chambre de gauche.) Eh bien ! le costume que vous voudrez Annette ! mon… mon plus gai !

Annette. — Oui, monsieur. (Elle sort.)

Yvonne, tout en maugréant, défaisant les rubans de sa chemise de nuit qu’elle s’apprête à retirer pour passer sa chemise de jour. — Non, c’est vrai ça ! (Elle est face au pied du lit, dos par conséquent à Joseph qui fixe ce jeu de scène, mais d’un air indifférent et distrait.)

Lucien, allant à Joseph. — Quant à vous… (Arrêté par l’attitude de Joseph, regardant ce qu’il regarde et bondissant aussitôt sur sa femme et lui ramenant sur le cou sa chemise qui déjà dégage son épaule.) Ah ! çà, qu’est-ce que tu fais ? Tu perds la tête ?

Yvonne, ahurie par ce bolide qui lui tombe sur les épaules. — Quoi ?

Lucien. — Tu changes de chemise ici, à présent ?

Yvonne, les nerfs à fleur de peau. — Oh ! je t’en prie, écoute… ! (Elle rejette le col de sa chemise en arrière dans le but de sortir son bras.)

Lucien, lui remontant à nouveau sa chemise. — Mais pas du tout ! tu ne vas pas te mettre toute nue devant ce domestique !

Joseph, d’un air profondément détaché. — Oh ! si c’est pour moi, monsieur… !

Lucien, furieux et dans le nez de Joseph. — Évidemment, c’est pour vous !

Yvonne, à Joseph, avec Lucien entre eux deux. — Non ! je perds ma mère et voilà à quoi il regarde : si j’ai une chemise ou si je n’en ai pas ! (Elle dégage vers le lit.)

Lucien, furieux. — On peut perdre sa mère et être convenable !

Yvonne. — Oh ! oui, oh ! tais-toi, va !! (Paraît Annette, venant de gauche,