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Yvonne, le considérant avec pitié et sur un ton obsédé. — Qu’est-ce que tu as encore ?

Lucien, l’air misérable. — J’ai mal à l’estomac.

Yvonne. — Allons bon ! voilà autre chose ! (Elle rejette ses couvertures et saute hors du lit.)

Lucien. — Je voudrais qu’Annette me fasse de la camomille.

Yvonne, tout en passant ses pantoufles. — C’est bon ! on va t’en faire de la camomille ! (En ce disant elle se dirige vers la porte de gauche.)

Lucien, Ls’interposant. — Mais qui est-ce qui te demande de te lever ?… Je peux faire ma commission moi-même.

Yvonne, le repoussant. — Oh ! non, non !… (Revenant sur lui.) je ne veux pas que tu puisses dire que je te laisserais crever !… Non !… Je connais mes devoirs !… et je les remplis !… Moi !

Lucien, sur le même ton qu’Yvonne. — Bon ! Parfait ! c’est très bien ! (Il va s’asseoir sur la banquette.)

Yvonne, allant à la porte de gauche et appelant. — Annette !

Voix excédée d’Annette. — Oh !

Yvonne. — Annette, levez-vous !

Voix d’Annette. — Hein ! Encore !

Yvonne. — Quoi « encore » ? Qui « encore » ! Qu’ça veut dire ça, « encore » ?… Et faites de la camomille à monsieur !… (Elle va à la cheminée et, prenant la boîte d’allumettes, en frotte une pour allumer la veilleuse-réchaud ; pendant ce temps on entend la voix d’Annette qui ronchonne dans la coulisse.)

Lucien, après un moment et sur un ton de ricanement. — Ah non ! ce que tu peux embêter cette fille !

Yvonne, la boîte d’allumettes dans une main, une allumette dans l’autre, se retournant à la remarque de Lucien. — Quoi ?… Ah ! par exemple, ça c’est un comble ! C’est moi qui l’embête ! (Allant à Lucien et dans son nez.) Dis donc !… Est-ce que c’est, pour moi la camomille ? Hein ? Est-ce que c’est pour moi ?

Lucien, presque crié. — C’est mon souper qui n’a pas passé !

Yvonne, sur le même diapason que Lucien. — Mais oui ! c’est toujours la même chose ! (Retournant à la cheminée faire sa petite cuisine, allumer la veilleuse et verser de l’eau de la carafe dans le récipient.) Voilà ce qu’on nous rapporte à nous : les indigestions de ses ripailles extérieures !… On ne trouve pas sa femme suffisante pour ses distractions, mais on la trouve assez bonne pour vous servir de garde-malade !

Lucien, qui n’a pas écouté un mot de toute cette diatribe, uniquement préoccupé qu’il est de son mal d’estomac contre lequel il lutte en se donnant des petits coups du bout des doigts au creux du sternum, — après s’être levé, arrivant dans le dos d’Yvonne. — Dis donc, ma chérie ?

Yvonne, sèchement, sans se retourner. — Quoi ?

Lucien, lamentable. — Elle sera bientôt prête, la camomille ?

Yvonne. — Bien quoi ! laisse le temps !… faut que ça bouille !… tu le sais bien.

Lucien, résigné. — Oui. (Un temps. Il a un hoquet, puis sur un ton douloureux.) Ah !

Yvonne, se retournant à demi. — Quoi ?

Lucien, se penchant sur elle et sur un ton dolent. — J’aimerais vomir !

Yvonne, le repoussant brusquement et passant. — Ah ! non ! non ! tu ne vas pas vomir ! Je ne t’ai pas épousé pour ça !

Lucien. — Mais non, voyons ! Je dis « j’aimerais », je n’ai pas dit « je vais ». Tu sais très bien que je ne peux jamais.