Yvonne, qui est couchée sur le côté gauche, presque aussitôt cette sonnerie, ouvre des yeux gonflés de sommeil, soulève un peu la tête, puis. — Qu’est-ce que c’est que ça ? (Nouveau coup de sonnette. — Avec humeur.) Je parie que c’est Lucien qui a oublié sa clé !… (Rejetant ses couvertures.) C’est bête de vous donner des palpitations pareilles ! (Elle saute du lit ; elle est en chemise de nuit, pieds nus et jambes nues. — Deux coups de sonnette successifs. — Furieuse.) Voilà ! (Elle saisit son peignoir d’un geste brusque et chausse vivement ses pantoufles. — Sonneries répétées.) Mais voilà, quoi ! (N’ayant pas le temps d’enfiler son peignoir, elle se le jette autour du cou comme un cachez-nez. Elle gagne ainsi jusque dans le vestibule, puis arrivée à la porte d’entrée qui donne sur le palier, sur un ton bourru :) Qui est là ?
Voix de Lucien, piteuse comme celle d’un enfant en faute qui a peur d’être grondé. — C’est moi ! J’ai oublié ma clé !
Yvonne, dans la vestibule. — Ah ! naturellement ! (Tout en ouvrant la porte dont on entend le bruit de serrure.) Comme c’est agréable ! (Redescendant en scène.) Allez ! entre ! (Arrivée à l’avant-scène droite, elle grimpe dans son lit ; cela par les genoux, dos au public. Pendant ce temps, Lucien a refermé la porte d’entrée, on l’entend qui assujettit la chaîne de sûreté. Sur le : « Allez, entre ! » de sa femme. Lucien paraît : il est en costume Louis XIV sous un imperméable fermé jusqu’au cou, et qui ne descend pas plus bas que le bas des hanches. Autour du collet relevé de l’imperméable, un foulard noué. Il a des gants blancs trempés aux mains : ses souliers sont crottés et ses bas de même jusqu’au mollet. Tout le dos de l’imperméable n’est qu’une large tache d’eau. À son entrée, il a les mains empêtrées de son bougeoir allumé, de sa canne Louis XIV et de son parapluie. Son épée s’accroche dans la porte quand il franchit le seuil. Yvonne dans le lit.) Eh ! bien ? C’est pour demain ?
Lucien. — Voilà !… Je te demande pardon ! (En ce disant il tourne le commutateur électrique à gauche de la porte, ce qui allume le lustre.)
Yvonne, avec humeur. — Ah ! tu me demandes pardon ! Tu aurais mieux fait de ne pas oublier ta clé. C’est gai d’être réveillée en sursaut quand on dort.
Lucien, sur un ton confus. — Je t’ai réveillée ?
Yvonne, sur un ton coupant. — Évidemment, tu m’as réveillée ! Tu ne penses pas que je t’ai attendu jusqu’à cette heure-ci ?
Lucien, bien sincèrement, comme soulagé, tout en pivotant pour aller vers la cheminée afin d’y déposer son bougeoir. — Ah ! tant mieux ! (Il fait mine de souffler sa bougie, mais s’arrête à la voix d’Yvonne.)
Yvonne. — Comment, « tant mieux » ! tu es content de m’avoir éveillée ?
Lucien. — Mais non ! je dis tant mieux… que tu ne m’aies pas attendu.
(Il souffle sa bougie, la dépose sur la cheminée, pose sa canne dans l’encoignure de cette dernière, puis, son parapluie entr’ouvert et ruisselant sous le bras, se dirige vers le lit, en secouant ses mains glacées sous ses gants trempés.)
Yvonne. — Je te demande un peu si c’est une vie de rentrer à cette heure-ci !
Lucien, tout en retirant ses gants. — Je n’ai pas pu trouver de fiacre. Et il fait un temps ! Il n’y avait que des lanternes pour Vaugirard ou Le Château-d’Eau ! On ne trouve jamais les lanternes de son quartier.
Yvonne. — Je suis sûre qu’il doit être des heures… !!
Lucien, sans conviction. — Oh ! non, il est à peine… (À ce moment précis, la pendule de la cheminée se met à sonner quatre coups.)
Yvonne, lui coupant la parole. — Attends ! (Tous deux prêtent l’oreille. Lucien avec une certaine grimace. Une fois les quatre coups sonnés. Yvonne avec un rictus aux lèvres.) Quatre heures dix !
Lucien. — Comment, « dix » !