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Célestin. — Tu sais qu’il paraît que c’est un homme charmant, ce Saint-Florimond.

Adrienne. — Ah !

Célestin. — Oui ! d’abord une jolie fortune, ça, ça t’est bien égal, tu es riche ! et puis, un grand nom ! Tu seras comtesse de Saint-Florimond. Ça ne sonne pas mal ! Comtesse de Saint-Florimond !

Adrienne. — Oui ! oui ! en effet… ça sonne bien !

Célestin. — Et puis, avec ça, un homme distingué, spirituel !

Adrienne, impatientée. — Oh ! mon Dieu ! assez ! Tu vas me donner envie de l’épouser tout de suite !

Célestin. — Eh ! s’il est tel qu’on le dit, ça ne serait déjà pas si mal !… Songe donc ! un mari jeune, aimable, spirituel ! qui aurait pour toi les tendresses, les cajoleries…

Adrienne, frappant du pied. — Ah ! et puis, je t’en prie, en voilà assez !

Célestin. — Qu’est-ce que tu as ?

Adrienne. — En vérité, tu mets une insistance à me faire valoir les qualités de M. de Saint-Florimond ! ma parole, tu serais agent matrimonial, tu ne parlerais pas mieux !

Célestin. — Mais, Adrienne… ce que j’en dis…

Adrienne. — Ah ! ce que tu en dis ! Alors, ça ne te fait rien l’idée que je peux devenir un jour la femme de ce Saint-Florimond ?

Célestin. — Dame ! puisqu’un jour ou l’autre il faut que tu sois la femme de quelqu’un.

Adrienne. — Eh bien ! Tu as raison ! autant que ce soit celui-là qu’un autre ! puisque tu me le conseilles tant, je l’épouserai, ton Saint-Florimond.

Célestin. — Adrienne, qu’est-ce que tu as ? Tu as l’air fâchée ?

Adrienne. — Ah ! Célestin ! Célestin !… Je n’attendais pas ça de toi !

Célestin. — Ah ! mon Dieu ! Qu’est-ce qu’elle a ? Adrienne !

Adrienne, pleurant. — Alors… quand nous étions enfants, et que nous nous promettions d’être mari et femme… c’était donc pour jouer ?

Célestin. — Quoi ! Est-il possible ?

Adrienne. — Mais moi, j’avais cru que c’était sérieux ! Je m’étais mis ça dans la tête !… Je me disais toujours : voilà celui que tu dois aimer, puisqu’il doit être ton mari !

Célestin. — Adrienne, pas un mot, pas un mot de plus ! si tu ne veux pas que je jette ce Saint-Florimond par la fenêtre, quand il entrera.

Adrienne. — Vrai ! Tu ferais ça pour moi ?

Célestin. — Parole ! Mais, Adrienne, tu n’as donc pas compris que je n’ai pas plus oublié que toi nos belles fiançailles d’autrefois ! Mais depuis, si toi tu te disais : "Voilà celui que je dois aimer puisqu’il doit être mon mari", moi, je pensais "Voilà celle que je ne dois pas aimer, parce qu’elle ne peut pas être ma femme !"

Adrienne. — Pourquoi ?

Célestin. — Pourquoi ? À cause de ta fortune…

Adrienne, avec joie. — C’était pour ça ! Oh ! que t’es bête !

Célestin. — Mon Dieu ! oui, je suis bête !… Mais c’est pour ça !…

Adrienne. — Ah ! C’était… eh bien ! tu vas m’épouser tout de suite !

Célestin. — Moi ?

Adrienne. — Oui, toi ! Et puisque tu as des scrupules, je dirai à papa qu’il garde ses soixante mille livres de rentes… là !

Célestin. — Non ! C’est trop !… Je te sacrifierais ta fortune !

Adrienne. — Et maintenant, monsieur ! vous allez me demander pardon !

Célestin. — Adrienne !