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Philomèle. — C’est si simple. N’y a qu’à ne pas se mettre en service !

John. — Eh v’là des raisons ! Toi, t’es femme, tu ne peux comprendre ça !… mais demande à Isidore ; je l’ai fait entrer à la C.G.D.G.D.M.

Philomèle. — Qué qu’c'est qu’ça ?

John. — Oh ! malheur. Eh ben ! la Confédération générale des gens de maison, la C.G.D.G.D.M. Tu ne comprends donc pas le français ? Aha ! Là, je suis quelqu’un ! là, je suis secrétaire ! parfaitement ! et préposé spécialement aux sabotages. Pas vrai, Isidore ?

Isidore. — C’est vrai.

John. — Que ce soir, il me plaise d’envoyer l’ordre, et à sept heures et demie sonnantes, tous les valets de chambre de Paris auront craché en même temps dans le potage de leurs maîtres ! Ça n’est pas beau, ça ?

Isidore. — Oh ! si !

Philomèle. — C’est un peu dégoûtant ! mais c’est beau.

Isidore. — L’embêtant, c’est que les domestiques mangent le potage après.

John. — Qu’est-ce que ça fait, c’est notre crachat, à nous.

Isidore. — Ça n’est pas plus appétissant !

John. — Et c’est un personnage de mon importance qu’un avorton de femme comme ça ferait marcher ? Quand je pense que je me suis soumis à tous ses caprices ! j’en rugis ! Je porte la livrée infamante, j’ai rasé barbe et moustache… Elle m’appelle John, quand je m’appelle Alphonse, tout ça parce qu’elle a peur qu’on confonde. Oh ! mais patience, nous aurons notre tour ! pas vrai Isidore ?

Isidore. — Ben ! j’espère.

John. — T’as pas l’air convaincu.

Philomèle. — Qu’est-ce que ça sera, notre tour ? Isidore, passe-moi ta peau !

John. — Notre tour ? Mais ça sera qu’il n’y aura plus de domestiques ni de maîtres ! qu’on prendra l’argent à ceux qu’en ont pour nous le donner, à nous… et comme ils seront pauvres, ce sera eux qui seront obligés de devenir nos domestiques et nous les ferons trimer. Ce sera la revanche ! C’est ce qu’on appelle l’émancipation générale.

Philomèle, le regardant. — Comme il parle bien !

Isidore. — Ça ! pour être verbeux, il est verbeux !

John. — Oh ! c’est pas une idée nouvelle d’ailleurs ! Il y a longtemps que ça couve. Déjà chez les anciens, qui n’étaient pas des bêtes, il paraît qu’on avait essayé quelque chose comme ça, en petit… oh ! il y a longtemps, sous Louis XV ou Charles IX, je ne sais pas au juste. Y avait ce qu’on appelait les Saturnales.

Isidore et Philomèle, sans comprendre. — Ah ?

John. — C’était une fois l’an : ce jour-là,… c’étaient les domestiques qui devenaient les maîtres, et les maîtres qui devenaient leurs domestiques.

Isidore et Philomèle. — Non !

John. — Comme je te parle ! C’était plus le patron, c’était le larbin qui était maître de sa turne… C’est de là d’ailleurs que vient le nom de saturnales. Eh ! bien, il est évident qu’une fois l’an, c’était pas beaucoup, mais n’empêche, Ça avait du bon parce que toute l’année, tout de même, le patron se disait : "Ne les embêtons pas à l’office, sans ça ils me le feront payer aux saturnales ! " et il mettait de l’eau dans son vin.

Isidore. — Oui, mais probable que le jour des saturnales le valet de chambre devait se dire aussi : "S’agit pas d’embêter trop le patron aujourd’hui, parce qu’il se rattrapera demain ! " alors, ça revenait au même.