Rudebeuf. — Pourquoi m’avez-vous dit de vous enlever, alors ?
Madame Grosbois. — Eh bien ! après ?
Rudebeuf. — Enfin, il me semble que…
Madame Grosbois. — Alors quoi ! "Enlevez-moi" ça veut dire : "Allez-y. Prenez-moi ! On marche ?…"
Rudebeuf. — Ben !…
Gabrielle. — Oh !
Madame Grosbois. — Mais quelles sont ces mœurs, Dieu bon ! Ah ! J’ai connu beaucoup de ces messieurs dans ma vie… Tous, plus ou moins, ont souhaité, certes !… mais ils y mettaient des formes !… ils ne dragonnaient pas !… Avant, on jetait des bases ! on causait ! on savait sur quel pied on marchait !
Rudebeuf. — Hein !
Madame Grosbois. — Vous trouvez ça peut-être élégant d’exploiter, au profit de vos petites satisfactions personnelles, le coup de tête… irréfléchi de cette enfant ? Mais avez-vous songé à la responsabilité que vous avez assumée en y prêtant les mains ?
Rudebeuf. — Moi !
Madame Grosbois. — Car, enfin, ma nièce a un mari !… Avez-vous réfléchi à tout ce qui va résulter de cette folle équipée, le scandale, le divorce. C’est la femme déchue ! déclassée (Elle l’embrasse.) Avez-vous songé à tout ça, monsieur ?…
Rudebeuf. — Ecoutez, madame, ce n’est ni le lieu, ni la tenue pour discuter une chose pareille ! La matinée est fraîche…
Madame Grosbois. — Ma nièce a son petit châle.
Rudebeuf. — Oui, mais moi je n’en ai pas.
Madame Grosbois. — Et vous voudriez comme ça, sans base, sans assise, sans même une conversation cordiale avec moi, que cette enfant aille de but en blanc… Ah, ça ! Monsieur, nous prenez-vous pour des cocottes ?
Rudebeuf. — Mais jamais je n’ai dit…
Madame Grosbois. — Ma nièce ne rentrera avec vous dans cette chambre que lorsque nous connaîtrons vos intentions.
Gabrielle. — Mais, ma tante, la question n’est pas là.
Madame Grosbois. — Toute la question est là, au contraire ! Il n’y en a pas d’autre ! Es-tu la femme déchue ? Oui ! Eh bien ! tais-toi, on te doit une réparation.
Gabrielle. — Oh ! ce n’est pas une situation que je cherche.
Rudebeuf. — Mais alors, quoi ?…
Gabrielle. — Je veux me venger de mon mari.
Rudebeuf. — Mais, sapristi ! C’est ce que je vous propose !
Gabrielle. — Ah ! oui, mais pas comme ça.
Madame Grosbois. — Absolument ! Venge-toi, je le comprends, mais, du moins, pas pour des prunes.
Rudebeuf. — Eh ! bien, oui ! bien, oui ! Nous causerons de tout cela : mais pas ici, je vous en supplie.
On entend, lointaine encore, une sonnerie de clairon.
Rudebeuf. — Tenez ! Voilà le clairon ! Les soldats vont venir, on les aligne pour le circuit !
Gabrielle. — Ah ! c’est ça qui m’est égal !
Rudebeuf. — Et puis, je suis gelé.
Madame Grosbois. — Quand on est vraiment amoureux, on a chaud.
Rudebeuf. — Ah !