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Gabrielle. — Je te connais, tu sais ! Si tu crois que je ne lis pas sur ton visage, tout de suite. Et tu avais un air bête !

Etienne. — Oh !

Gabrielle. — Au moins, Phèdre, elle est plus maligne ! c’est une femme ! elle n’a eu l’air de rien. Mais toi, personne ne te demandait l’heure qu’il était, et tu t’es cru obligé de me dire : "Voilà ! on causait !… on causait ! " Ah ! oui, on causait !… Et de quoi ? Voilà ce que je voudrais savoir.

Etienne. — Oh ! ben, je t’ai dit, de choses…

Gabrielle. — Des cochonneries, oui !

Etienne. — Oh !

Gabrielle. — Eh bien ! prends garde, mon petit ! tant que j’ai pu croire qu’il n’y avait pas de danger, Phèdre pouvait te reluquer avec des yeux de merlan frit et essayer de te faire du plat, je ne disais rien ; mais du moment que tu rends et que tu marches au boniment, ah ! non ! halte-là ! fini de rire.

Etienne. — Allons, voyons, tu es folle. (A part.) Oh ! la bague.

Gabrielle. — Je suis folle, mais j’y vois clair.

Etienne, à part. — Nom d’un chien, elle glisse !

Gabrielle. — C’est si dégoûtant, les hommes ! Il suffit qu’une femme cherche à leur plaire, elle a beau avoir, comme Phèdre, une poitrine de poulet, des bras d’araignée, un teint qui s’enlève avec une serviette !… du moment qu’elle a des bijoux, des cheveux teints, des toilettes !…

Etienne, à part. — Nom d’un chien ! je l’ai dans les reins !

Pour empêcher la bague d’aller plus loin, il cambre les reins et fait sortir la torse.

Gabrielle. — Qu’est-ce que tu as ?… tu es malade ?

Etienne. — Mais non, pourquoi ?

Gabrielle. — Pourquoi est-ce que tu te contorsionnes comme ça ?…

Etienne. — Moi ? mais non… (A part.) Oh !… elle glisse !…

Gabrielle. — Mais tu es ridicule, voyons ! rentre ça !…

Etienne. — Hein !… oui, non, attends, je reviens, je reviens !…

Gabrielle. — Où vas-tu ?

Etienne. — Quelque chose que j’ai oublié de dire à Jourdain !

Gabrielle. — Veux-tu rester là ! tu iras parler à Jourdain quand j’aurai fini.

Etienne, à part. — Oh ! si je pouvais la pincer.

Gabrielle. — Oui, des toilettes, voilà avec quoi on vous prend ! eh bien ! moi aussi, je pouvais en avoir, si j’avais voulu, des toilettes !

Etienne, tout à sa préoccupation. — Mais oui !

Gabrielle. — C’est pas malin ! on me l’offrait, tout ce luxe ! Je n’avais qu’à dire un mot. Et, sans me vanter, tu sais, entre Phèdre et moi, à toilettes égales, on aurait vu laquelle aurait bouffé l’autre.

Etienne. — Tiens, parbleu !… (A part.) Oh ! garce de bague !

Gabrielle. — Si j’ai refusé tout ce luxe, c’est parce que je t’aime ; alors, si tu devais me tromper à cause de ça, ah ! vois-tu, à cause de ça !… ce serait abominable !

Etienne. — Je ne te tromperai jamais à cause de ça.

Gabrielle. — Oh ! tu sais, à cause de ça ou à cause d’autre chose !

Etienne. — Mais non, voyons, à cause de rien, à cause de rien !

Gabrielle. — Ah, çà ! quoi, tu es souffrant ?

Etienne. — Mais non !

Gabrielle. — Eh ! bien, alors, cesse de te tortiller.