entrant et allant à Mme Grosbois. — Monsieur Le Brison, je suis exaspéré.
Madame Grosbois. — Non, c’est pas là !… En face, monsieur Le Brison.
Chatel-Tarraut. — Oh ! pardon ! (A Le Brison et lui serrant la main.) Je suis exaspéré !
Le Brison. — Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Chatel-Tarraut. — Je ne peux plus circuler !… Depuis que vos sacrées automobiles ont envahi mes parages, depuis votre circuit du diable, je ne peux plus sortir mes chevaux !… Mes chevaux sont comme moi. Ils protestent, ils se cabrent, alors ils s’emballent. J’ai dû venir ici en voiture à âne.
Le Brison. — En voiture à âne ?
Madame Grosbois. — Cent sous que j’aurais donnés pour voir ça !
On rit.
Chatel-Tarraut. — Nous vivons à une sacrée époque. Et ce n’est pas tout !… Figurez-vous qu’on veut m’installer dans ma remise et c’est pour ça que je suis venu vous voir…
Le Brison. — Ah ! dites-donc, pendant que j’y pense, c’est au propriétaire que je m’adresse, cette salle où nous nous tenons toujours est très agréable, mais, là, quand on est près de ce mur, il vient une humidité !…
Chatel-Tarraut. — Ah !
Le Brison. — Il doit y avoir une fuite dans votre citerne.
Chatel-Tarraut. — Ma citerne ! quelle citerne ?
Le Brison. — Toute cette construction, là, derrière ce mur, ce bloc de bâtisse, sans fenêtre ni ouverture ; ce n’est pas une citerne ?
Chatel-Tarraut. — Ah ! elle est bonne ! Ah ! mon Dieu, qu’elle est bonne !
Le Brison. — Qu’est-ce que vous avez ?
Chatel-Tarraut. — Une citerne ! Mais il n’y a jamais eu de citerne ! Je ne vois pas une orgie dans une citerne !…
Tous. — Une orgie ?
Chatel-Tarraut. — Oui !… ça, c’est ce que mes ancêtres avaient surnommé la "Chambre Ardente". Ah ! elle en a vu !…
Madame Grosbois. — Des messes noires ?
Chatel-Tarraut. — Noires et de toutes les couleurs.
Tous. — Oh !
Chatel-Tarraut. — On y pénétrait, mesdames et messieurs, par une porte secrète dissimulée dans la muraille. Il suffit de presser sur une des perles de la boiserie. Ah ! que je vous signale un point capital et suggestif… Au fait non, vous n’avez qu’à consulter les archives du château, elles sont dans la bibliothèque. Maintenant, à moi ! voici donc ce qui m’amène !…
Le Brison. — Ça va être long ?
Chatel-Tarraut. — Une seconde. Sous prétexte que j’occupe une situation officielle, que je suis maire, on veut de nouveau me caser une automobile dans ma remise. Comme vous êtes un charmant homme, bien que vous soyez automobiliste…
Le Brison. — Oui, vous voulez caser l’auto chez moi.
Chatel-Tarraut. — C’est cela même. Ces puanteurs chez moi, ça non !
Le Brison. — Vous êtes bien aimable. Le propriétaire de l’auto s’appelle ?
Chatel-Tarraut. — Il m’est recommandé par le ministre… (Avec mépris.) Un ministre !… Qu’est-ce que j’ai fait de sa carte ?
Le Brison. — Ça n’a pas d’importance. Je préviendrai le valet de pied. Il avertira Phèdre. Ainsi, quand votre monsieur arrivera…