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Justin, à part. Il redescend derrière Boriquet. — Et maintenant, à nous deux. (Il fait des passes magnétiques dans le dos de Boriquet… Celui-ci en subit l’influence peu à peu… Quand Justin le voit endormi, il l’attire à lui en lui plaçant le doigt entre les deux yeux.) Avance à l’ordre, toi !

Boriquet. — Quoi ?

Justin. — D’abord on ne dit pas "quoi", on dit "Monsieur", tu peux bien me dire un peu Monsieur, à ton tour.

Un peu brusque.

Boriquet. — Monsieur…

Justin. — A la bonne heure ! (Lui apportant le balai.) Tiens, voilà le balai ! tu vas faire la pièce à fond… et puis, tu sais, tâche de te remuer… il paraît que tu as été très mécontent de l’ouvrage, hier, que tu as trouvé que ça n’était pas propre, et que tu avais fichu ça comme quatre sous… Eh bien il ne faut pas que ça se renouvelle. Je n’ai pas envie que tu me fasses encore attraper par toi quand tu seras réveillé… C’est compris ?

Boriquet. — Oui, Monsieur.

Justin. — Allez va… et puis tu mettras le couvert pour deux personnes, parce que tu as ta sœur à déjeuner…

Boriquet. — Ma sœur ?

Justin. — Oui, ta soeur… ta vieille fille de sœur, qui n’a jamais pu trouver chaussure à son pied ! Comme si tu avais besoin d’inviter ce laissé-pour-compte !… Nous aurions déjeuné en tête à tête… (A Boriquet.) Allez, travaille ! (Voyant Boriquet qui porte son cigare à la bouche.) Ah ! et puis on ne fume pas quand on balaie… Allez, donne-moi ton cigare… Crains rien, je vais te l’entretenir. Là, va-z-y mon garçon ! (Justin, après avoir retiré le cigare du fume-cigare de Boriquet, s’installe bien à son aise à fumer sur la chaise de droite, pendant que Boriquet commence à balayer.) C’est ça ! Eh ! bien voilà comment je comprends le service, moi ! Excellent cigare !… (Voyant Boriquet qui balaie mollement.) Eh ! dis donc, là-bas… où donc que tu as appris à balayer ? C’est pas un pinceau que tu as dans les mains ! t’as l’air de faire des miniatures… allons, un peu de vigueur, mon vieux… plus fort que ça… (Boriguet balaie plus fort.) encore ! Allons, encore ! (Boriquet balaie vertigineusement. Au public.) C’est ça… Ah ! c’est que si je ne le secoue pas, je le connais,. c’est un feignant ! Non mais croyez-vous que c’est commode ! je me fais les mains blanches pendant que c’est lui qui attrape des ampoules ! Il me fait mon ouvrage et je lui fume ses cigares ! Voilà du véritable libre-échange !… (Boriquet balaie sous son nez. Toussant.) Eh fais donc attention, tu me fiches de la poussière ! Allons, c’est bien ! t’as assez balayé comme ça… (Il lui reprend le balai qu’il va remettre dans le coin de la cheminée.) C’est assez propre pour toi ! si tu n’es pas satisfait, tu le diras !… L’ouvrage est fait, on va te réveiller… Seulement, à midi, je te suggère d’aller chez le concierge chercher le courrier ; tu l’apporteras sur cette table et correctement, tu sais ! là, comme je fais (Il remonte et descend en disant) : "le courrier de Monsieur", après quoi tu te réveilleras… de même, à midi et demi, tu descendras à la cave et tu monteras un crochet de bois ! C’est entendu ! C’est bien, assieds-toi là… (Il le fait asseoir sur la chaise de droite.) Ah attends !… (Il tire encore une ou deux bouffées du cigare qu’il fume, après quoi il le