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cheminée et le bureau. Eloi s’assoit sur l’autre chaise qui est de l’autre côté du bureau.

Eloi. — Oh ! je suis estomaqué

Justin. — Voilà comme je comprends la domesticité ! je fais turbiner le patron.

Eloi. — Oui, c’est comme qui dirait un maître à ton service… Mais comment est-ce que tu t’y prends pour ça ?

Justin. — Ah ! voilà, j’ai l’œil !… le tout, c’est ça, avoir l’œil… je regarde le patron en acuitant mes prunelles… comme ça… j’acuite et ça y est !

Eloi. — T’acuites ?… C’est difficile, ça, d’acuiter ?

Justin. — Non, c’est une affaire de volonté… Ca m’est venu un jour en regardant une belle fille… je me dis : Pristi, cette jeunesse… j’en ferais bien mes choux gras !… Alors, je me mets à lui faire de l’œil… histoire d’y faire comprendre la chose. J’ai pas plus tôt commencé, que la v’là qui se met à écarquiller les prunelles, et v’lan, droit sur moi, son nez dans mon nez, les yeux dans mes yeux… et qui se met à me suivre alors et à droite et à gauche et en avant et en arrière ! toujours suspendue au bout de mon nez… C’est que je ne savais pas comment m’en débarrasser… Ah ? çà, saperlotte que je fais, elle ne va pas coucher là pourtant !

Il se lève.

Eloi, se lève. — C’était donc pas ce que tu voulais ?

Justin. — Au bout de mon nez ? Non… sans compter qu’elle me faisait loucher… Alors, j’ai eu une inspiration, malgré que j’avais mangé du cervelas, j’ai fait pffou ! (Il souffle.) Elle s’est réveillée en faisant pffu ! et voilà, comment j’ai su que j’étais magnétique !

Eloi. — Allaïe !… mais qu’est-ce que tu penses que je pourrais aussi magnétiquer mon patron tout comme toi le tien à c’t'heure ?

Justin. — Mon Dieu, t’as qu’à essayer… puisque c’est une affaire de volonté… tu ce mets comme ça derrère ton bonhomme, tu fais comme ça avec tes mains (Il fait des passes qu’Eloi imite.), en pensant "je veux que tu dormes"… tu acuites tes prunelles… Acuite tes prunnelles… (Eloi écarquille les yeux.) Bien… et après ça si tu vois que ton patron dort, ça y est, tu peux y aller…

Il remonte un peu vers le fond à droite et écoute.

Eloi, en marchant un peu à gauche. — Oh ! ça est beau, la science ! je va essayer aujourd’hui même, sav’vous ! et si le patron y dort pour une fois… Ah bien, allaïe, allaïe, travaille ma vieille ! j’y apprendrai le service au bourgeois !

Justin, voyant Boriquet qui entre, toujours endormi. — Ah voilà l’ostrogot

Scène IV

Les Mêmes, Boriquet

Justin, à Boriquet. Il s’avance et le dirigeant avec le doigt. — Arrive ici, toi ! (Boriquet avance à l’appel de Justin.) T’as porté la malle ?

Boriquet. — Oui.

Justin, toujours en le dirigeant avec le doigt. — C’est bien, assieds-