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et ce n’est pas une raison parce qu’il a été banqueroutier pour qu’on me mette en faillite.

Angèle. — Eh ! aussi, c’est ce portrait ! Chaque fois que je le regarde, je sens la colère qui me monte au cerveau.

Ribadier. — Ah ! bien ! envoie-le au grenier, si c’est ça !… pourquoi le gardes-tu ?

Il s’assied à droite de la table.

Angèle. — Ah ! parce qu’il est de Bonnat… si ce n’était que pour les traits de feu Robineau, va, il y a longtemps… mais un Bonnat… même de son mari, ça se garde, c’est décoratif !

Ribadier. — Je ne te dis pas, mais si ton caractère doit s’en ressentir, si la paix du ménage doit en être menacée, tiens, veux-tu que je demande à Bonnat de le retoucher… de le modifier, il en ferait un seigneur du moyen âge… le temps efface bien des choses ! Eh ! bien, ça l’éloignera.

Angèle. — Non, j’entends le garder comme ça.

Ribadier. — Ah !

Angèle. — Il est bon que je conserve devant les yeux cet échantillon de la fidélité conjugale… quand ce ne serait que pour m’apprendre à me méfier de toi !

Ribadier. — De moi ! Eh ! mais, pourquoi, mon Dieu ?

Angèle. — Parce que tu es mon mari.

Ribadier. — En voilà une raison !

Angèle. — C’est la meilleure… Eh bien ! ce portrait est là pour me dire : "Souviens-toi que tous les maris sont des parjures et des infidèles" ! Il n’y a pas à récriminer, c’est inhérent à la fonction.

Ribadier. — Ah ! voilà ce que dit Robineau du fond de sa toile !

Angèle. — Parfaitement ! Et il ajoute en plus : "Regarde, je t’ai bien trompée et tu ne t’en es jamais aperçue… Eh bien, mets-toi bien en tête que tous tes maris te tromperont comme je t’ai trompée."

Ribadier. — Tous tes maris ?

Angèle. — Ne te fie pas aux apparences… plus les maris ont de choses à se reprocher, plus ils ont soin de les sauver, les apparences… n’en crois ni tes yeux ni tes oreilles, cherche, épie, surveille, et si tu ne vois rien, dis-toi que tu as mal cherché et n’en sois que plus persuadée qu’il y a quelque chose !

Ribadier. — Non, c’est à rendre fou !

Angèle, descendant à gauche. — Voilà le langage qu’il me tient, M. Robineau, par Bonnat.

Ribadier. — J’y flanquerai le feu à ce portrait ! J’y flanquerai le feu.

Angèle. — Va ! j’ai pu être ridicule une fois… je ne le serai pas deux… ou du moins ce ne sera pas de ma faute !

Ribadier. — Mais sacristi, voyons ! parce que ton M. Robineau…

Angèle. — Il ne s’agit plus de M. Robineau. Il a quitté ce monde pour un autre.

Ribadier, railleur. — Hein !… Si tu pouvais demander l’extradition ?

Angèle. — Il est bien où il est. Mais halte-là ! si lui n’est plus, toi, tu es encore là !

Ribadier. — Ce n’est pas un reproche ?

Angèle. — Je ne plaisante pas. Eh bien ! j’entends que la leçon me serve. À quelque chose malheur est bon ! C’est pourquoi, quand je t’ai épousé, je me suis fait une règle de conduite. Je me suis dit : "Autant