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Julie. — Oh ! pauvre garçon… c’est qu’il est jaloux… il croit que je dois vous épouser… et il m’aime, lui… il me l’a fait sous-entendre.

Lanoix. — Allons-donc… eh bien, et vous ?

Julie. — Moi, dame… il ne me déplairait pas.

Lanoix. — Alors, faites-le lui sous-entendre aussi.

Julie. — Comment, devant vous ?

Lanoix. — Oh ! moi, ça m’est égal… je n’écouterai pas.

Julie. — Après tout, ça n’est que pour le rassurer… On n’a pas le droit de laisser souffrir son prochain quand on peut calmer sa souffrance. (À Dufausset.) Psstt ! !

Dufausset, s’arrêtant. — Pardon, c’est à moi ?…

Lanoix. — Oui, allez, allez !

Dufausset s’avance près de Julie. Lanoix gagne la place de Dufausset et se met, exactement comme le faisait ce dernier, à marcher de long en large.

Dufausset. — Vous m’appelez, mademoiselle ?

Julie. — Oui, je tiens à vous rassurer… vous êtes là sur des charbons. Eh bien, calmez-vous, monsieur Lanoix que l’on croit mon fiancé, ne sera jamais mon mari.

Dufausset. — Comment !

Lanoix, tout en arpentant la scène, redescendant au deuxième plan entre Dufausset et Julie et sans interrompre sa marche. — Non, jamais, jamais !

Il remonte.

Dufausset. — Mais pourquoi me dites-vous ça ?

Julie. — Mais parce que… parce que, après votre aveu, je n’ai pas le droit de m’amuser d’un jeu cruel qui doit vous faire souffrir.

Dufausset. — Hein ?

Julie. — Je ne suis point coquette, moi… et je trouve qu’il est mal lorsqu’on sait que quelqu’un a de… de la sympathie pour vous… de prendre plaisir à le chagriner par des airs de dédain et des épreuves inutiles, qui sont censément pour le stimuler.

Dufausset. — Tiens ! tiens ! tiens !

Julie. — Or, j’ai bien vu… combien vous étiez agacé… vous trépignez là depuis cinq minutes… j’ai peut-être tort de vous parler de la sorte… Madame Landernau m’a toujours dit : "En amour, il ne faut jamais s’avancer, il faut laisser venir…" mais en somme c’est vous qui avez fait les premiers pas… je puis bien m’avancer un peu à mon tour.

Dufausset, à part. — Mais elle est charmante… et moi qui n’y faisais pas attention… (Haut.) Est-il possible, mademoiselle, que vous me parliez de la sorte ?

Lanoix, fredonnant. — "Ah ! il a des bottes, il a des bottes, bottes bottes"…

Dufausset. — Et dire, mademoiselle, qu’on peut être assez aveugle pour venir dans cette maison, et pour ne pas tomber immédiatement amoureux de vos charmes.

Julie, passant au premier plan. — Oui, mais ça n’est pas votre cas.

Dufausset. — Moi !

Julie, à Lanoix, — C’est plutôt pour vous qu’on peut dire ça ! attrape !

Lanoix. — Pas de personnalités, s’il vous plaît !

Julie, à Dufausset. — Oh ! non, ça n’est pas votre cas… car vous